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Cairotes, Marseillais et Algérois… Une culture commune !

By 25 novembre 2016Fatchaplus, Numéro 8

Nous avons rencontré Kasser Korhili, responsable de l’unité Montolieu du CIERES (Centre d’Innovation pour l’Emploi et le Reclassement Social) qui propose des actions de formation d’accès et de maîtrise de savoirs de base, et a orienté une partie de ses actions vers un public de jeunes dont la plupart sont des migrants (16-25 ans)

Le CIERES est identifié comme une structure qui accueille les migrants.

Ce n’est pas une marque de fabrique officielle. C’est induit chez les partenaires car nous avons monté des actions spécifiquement destinées aux migrants, mais cela, en tant que force de proposition, comme des actions financées par la Politique de la ville. Nous avons fait le constat qu’il y avait des migrants qui arrivaient, qui étaient formés, et qui avaient des compétences professionnelles. On ne pouvait pas les diriger vers des actions d’insertion sociale, leur réapprendre la vie, il fallait juste transférer leurs compétences en français. On a donc imaginé une action de formation avec un formateur bilingue afin d’accélérer l’acquisition de la langue, et au plus vite les mettre en emploi.

Nous avons également mis en place une action destinée aux mineurs étrangers, isolés ou non. C’est une action financée depuis 2007 par l’état, la région et le département .

En novembre 2015 nous avons été sollicité par la Région afin de mettre en oeuvre une action spécifique pour les réfugiés. C’est à l’occasion de la vague migratoire de 2015, et de la médiatisation de cette photo de l’enfant syrien sur la plage que la Région s’est montrée volontariste sur ce plan. Auparavant, les centres de formation n’accueillaient pas les réfugiés .

Techniquement, c’est quoi un réfugié ?

Réfugié, c’est un statut administratif. C’est une personne qui est accueillie suite à des conditions qui font qu’elle ne peut plus rester dans son pays d’origine sans craindre pour sa vie, que ce soit pour des raisons politiques, économiques, ou autres. Elle fait une demande d’asile auprès de l’Ofpra (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) et obtient un document qui permet d’attendre que son dossier soit traité. Ça peut prendre un an. En attendant elle touche une petite allocation de 300-400 euros pour subvenir à ses besoins. Si elle a de la chance elle est hébergée dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile.

À l’heure actuelle, beaucoup dorment dehors, ou bien pour certaines en foyer d’urgence qui s’adressent normalement aux SDF.

Ces publics demandeurs d’asile ont bien du mal à intégrer les dispositifs de formation linguistique. L’ensemble des dispositifs ont pour mission d’amener les gens à l’emploi ou à la qualification, et dans leur cas on n’a pas encore statué sur le fait qu’ils puissent ou non résider et travailler sur le territoire, ce qui fait que tant que leur demande d’asile n’a pas été acceptée, ils ne sont pas admis sur les dispositifs de formation de droit commun.

Et un migrant, c’est quoi ?

Un migrant c’est quelqu’un qui migre, qui quitte son pays pour des raisons qui peuvent être d’ordre professionnelles, familiales, affectives, mais très souvent les gens migrent pour des raisons économiques.

Dans certains cas, la distinction entre réfugiés et migrants semble difficile à faire.

Les conditions pour lesquelles on accepte une demande d’asile doivent être élargies.

Dans le cas d’un pays qui a subi les foudres du FMI ou de la Banque Mondiale et qui se retrouve dépendant de l’aide humanitaire, délabré au niveau économique, ce serait légitime qu’on reconnaisse le statut de réfugié, ce ne sont pas des migrants.

Il y a l’exemple de Mahmoud Traoré, qui a écrit le livre “Partir et Raconter” avec Bruno le Dantec. Quand ils sont venus présenter leur livre au CIERES, on a demandé à Mahmoud pourquoi il était venu en France. Sa réponse est très simple : l’Europe a passé un accord avec le gouvernement sénégalais qui autorise les chalutiers européens à pêcher sur les côtes du Sénégal. Seulement, les villages côtiers vivaient de la pêche. Et à partir du moment où les chalutiers sont arrivés… Plus de poissons ! Donc plus de pêche, donc chômage, et famine.

Tout le monde est parti. Certains sont allés remplir les grandes villes sénégalaises, et d‘autres ont pris la route vers le nord.

Est-ce qu’ils sont des migrants économiques ou des réfugiés ?

Il faut que les pays occidentaux qui mettent en avant les Droits de l’Homme, l’accueil des populations en danger, aillent au bout de leurs responsabilités. On ne peut pas agir sur des questions très médiatisées comme les conflits en Syrie, en Iraq ou en Afghanistan et en Libye, et faire la chasse aux réfugiés.

Concrètement, que font les apprenants que vous accueillez en formation au CIERES ?

On leur propose des cours de français, de maths, et de maîtrise de l’outil informatique. Mais ils ont besoin de beaucoup plus que ça. Ils se retrouvent dans un lieu complètement nouveau, à un âge charnière…

Pour certains, l’arrivée ici est une catastrophe : ils ne comprennent pas où ils ont atterris. Il y a des jeunes venus du Sud Soudan qui n’avaient jamais été scolarisés, qui venaient d’un monde très rural, c’est très dur pour eux.

Ils ont besoin de s’ouvrir. Ils viennent tous les jours, pendant un an parfois, il faut qu’on puisse leur apporter autre chose que ces apprentissages. C’est pour ça qu’on mène des actions avec des partenaires culturels, des théâtres, des réalisateurs, des metteurs en scène… Ça leur permet de découvrir des lieux, des pratiques artistiques, des propositions de lecture du monde à travers des œuvres.

Ils ont des histoires et des parcours très différents, comment ça fonctionne en groupe ?

Ils ont des origines nationales, culturelles et linguistiques très hétérogènes, et ils viennent aussi de classes sociales différentes, avec des niveaux de scolarisation différents, et puis ils sont tout simplement très différents en tant qu’individus.

Et avec toute cette diversité, ça fonctionne, il y’a une dynamique qui s’installe. Ils sont très respectueux les uns des autres. On a fait des films ici avec des jeunes réalisateurs qui sont amenés à être montrés à Tunis, au Caire et à Rome à d’autres jeunes. Là-bas aussi des films sont faits et tournent dans les autres pays.

On se rend compte qu’aujourd’hui un jeune cairote, un jeune marseillais et un jeune algérois ont plus d’affinités entre eux dans les problématiques qu’ils rencontrent en tant que jeunes, qu’à l’intérieur même de leur société respective, avec les générations supérieures. Ils partagent une culture commune, avec les outils de communication, la façon de s’habiller, la question des rapports amoureux, et c’est ce qui rend les choses assez magiques quand on les voit évoluer.

Et puis on essaye d’instaurer des rapports assez horizontaux. On les considère comme de jeunes adultes qu’on accompagne dans un moment important de leur vie. Ici ils n’ont pas de pression, pas d’enjeux de diplôme à la fin. Et ils sont là parce qu’ils ont envie d’y être.

Qu’est-ce qu’ils vivent en dehors du CIERES, ces jeunes ?

Certains sont en famille de réfugiés, certains sont seuls dans des foyers, certains dorment dehors…

L’accompagnement au logement est de plus en plus difficile. Auparavant, un gamin qui avait 18 ans était presque certain de bénéficier d’un contrat jeune majeur qui pouvait aller jusqu’à 21 ans. Ce qui fait 3 ans pour essayer d’avoir un diplôme, un logement, un boulot.

Mais de plus en plus, ces dernières années, ils sont mis dehors à leur date d’anniversaire, sans préparation. Pour les demandeurs d’asile c’est pareil, ils sont mis à la porte de leur logement dès qu’ils obtiennent l’asile. On leur donne le numéro du 115 pour qu’ils se débrouillent et ils vont se retrouver à la Madrague Ville. Mais ils préfèrent encore dormir dehors. Il faut voir comment c’est là bas, c’est très violent, les publics cumulent diverses problématiques : alcoolisme, maladies infectieuses etc…

On observe une détérioration progressive de l’accueil des migrants, avec des changements qui paraissent anodins mais qui ont de fortes répercussions.

Par exemple il y a deux ans, les mineurs étrangers étaient reçus à la Préfecture dans des bureaux réservés pour un accueil  privilégié, pour leur demande de séjour. Ils venaient avec leurs éducateurs qui les suivaient dans le cadre de l’accompagnement à l’enfance.

Maintenant ils n’ont plus d’accueil privilégié. Comme il y a beaucoup de monde ils sont obligés de faire la queue le soir pour être reçu le lendemain. Les éducateurs ne peuvent pas attendre avec eux.

On doit s’organiser avec nos partenaires pour compenser toutes ces dégradations dans la qualité de l’accueil, et on dépasse souvent le cadre de nos fonctions pour tenter de régler les problèmes de ces jeunes. Globalement nos partenaires sont volontaristes et jouent le jeu, c’est encourageant.

Mais on a toujours plus de demandes que de places à offrir. Je dois avoir au moins 80 dossiers en attente, dont une partie sont des gens qui attendent une place en foyer et en formation. Ils dorment sans doute à la Madrague Ville…

On gère comme on peut, au jour le jour.

Comment les choses peuvent-elles évoluer dans les années à venir ?

J’ai un ami qui travaille dans la gestion des conflits internationaux au Moyen-Orient et au Maghreb. Il me disait qu’à l’allure où vont les choses, il faudra gérer des conflits dans les pays du Nord. On a l’impression qu’il y a une forme de décadence qui est en route ici, et on se demande jusqu’où ça va aller. Il y a comme une impression de fin d’empire.

On a réalisé des portraits vidéo  de jeunes de 20 ans nés en France et de jeunes migrants, en leur demandant comment ils s’imaginaient à 40 ans. Les nouveaux arrivants avaient tous des visions assez rationnelles, accessibles, ils se voyaient mariés avec une maison, un boulot, une voiture… Et les jeunes qui étaient nés ici avaient un discours complètement irréaliste, ils se voyaient footballeur, star, acteur… Ils sont davantage en quête d’identité, de repères.