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De l’Italie de Berlusconi aux errances avec Stella… Genèse d’un projet méditerranéen

By 8 mars 2017mars 10th, 2017Fatchaplus, Numéro 9

Cristiana Scoppa a rejoint l’association de journalisme indépendant BabelMed – le partenaire italien de Tabasco Video – pour construire le projet Web Arts Résistances. Elle nous raconte sa rencontre avec Nathalie Galesne, la présidente de l’association, les questionnements qui les ont amenées à construire le projet WAR, et en quoi celui-ci consiste.

En 2013, Cristiana travaille dans une association qui cherche à faire connaître l’Italie des années 80 (avec l’arrivée de Berlusconi sur la scène politique), en allant au-delà du traitement médiatique habituel. Leur idée : élargir la diffusion des documentaires centrés sur cette période. L’association se heurte à un système de production culturelle basé sur l’argent et la rentabilité ; les droits d’auteur empêchent  la mise à disposition gratuite de ces documentaires sur internet.

Cet échec a laissé une question en suspens :

« comment construire des parcours de narration qui ne soient pas superficiels tout en sortant de la nécessité productive d’un documentaire ? »

Question que  le projet WAR résoudra peut-être :

« Avec Nathalie, on avait observé que dans différentes villes qui bordent la Méditerranée, comme Rome, il existait des expériences combinant ces deux aspects. C’étaient des expériences politiques, civiques, qui utilisaient des expressions artistiques pour se faire voir. À l’heure où les possibilités de publier du contenu sur internet sont très étendues, il est aussi plus difficile de se distinguer, d’attirer les regards. Donc utiliser l’art, c’était la solution trouvée par des personnes, à la fois à Beyrouth, à Tunis, au Maroc, etc. C’est ce qui nous a un peu amenées à penser WAR : trouver une façon d’obtenir des reportages journalistiques qui racontent les choses, les gens, les vies, différemment qu’à la télévision. Et donner de la visibilité à ces expériences qui sont, selon moi, en train de créer un éventail d’approches citoyennes similaires par-delà les frontières nationales ».

La plateforme Web Arts Resistances

BabelMed et ses partenaires ont imaginé la création d’une plateforme Web, qui répertorie de telles initiatives citoyennes à mesure qu’elles apparaissent dans l’aire méditerranéenne. Leur éparpillement, la singularité de chaque projet les donnaient souvent à voir comme des pratiques minoritaires ou marginales : les rassembler en un seul et même lieu est un premier pas pour saisir ce qu’elles ont de commun. Cela permettra aussi aux porteurs des initiatives et à leurs publics d’interagir, de s’inspirer de projets voisins ou plus lointains et de contribuer à leur diffusion. Il s’agit aussi de défendre l’idée que la culture indépendante peut le rester par la promotion des valeurs de solidarité, de partage et d’échange.

www.artsresistances.net, lancée à Marseille le 10 mars 2017

BabelMed et Tabasco Video travaillent main dans la main pour construire et alimenter cette plateforme, par l’organisation d’ ”Ateliers méditerranéens de journalisme citoyen”. Le premier s’est déroulé à Tunis (entre janvier et juin 2016), le second à Rome (de septembre 2016 à mars 2017).

Cristiana revient sur la rencontre entre BabelMed et Tabasco Video, et sur l’organisation du voyage à Rome :

“Tabasco, c’est venu avec le premier projet qu’on a fait avec la région PACA : on avait travaillé sur un projet qui s’appelait “Nouveaux médias et jeunes journalistes en Méditerranée”, en partenariat avec Radio Grenouille. (…) On s’est rencontrés à Marseille, et c’est là qu’on leur a proposé de rejoindre le projet WAR, ce qui au départ n’était pas prévu. On s’est beaucoup retrouvés sur l’approche participative. BabelMed a une histoire de journalisme professionnel depuis longtemps. Une expérience unique dans le sens où dans les pays de la rive Sud, il n’existait pas de média indépendant jusqu’à tout récemment. BabelMed a participé à ce qu’on pourrait appeler une libéralisation des médias, à la suite des printemps arabes de 2011, en racontant comment le bouillonnement de la société avait abouti aux révoltes et révolutions. C’est un journal qui s’est toujours intéressé aux cultures contemporaines, aux questions sociales; ses journalistes indépendants contribuent à la mobilisation populaire par leurs productions. Depuis, le panorama médiatique dans la rive Sud a beaucoup changé, et s’est posée la question : “que faire avec BabelMed, comment faire évoluer les productions pour accompagner ces changements ?” On s’est interrogés quant à notre réalité européenne, et on a imaginé la constitution d’un “laboratoire” du journalisme qui pourrait utiliser l’expérience passée de BabelMed, et les relations qu’on avait nouées avec d’autres médias, pour faire profiter cette expérience à des jeunes.”

Comment s’est décidé ce voyage à Rome ?

C’est là que nous sommes basés, nous connaissons le terrain. C’était aussi pour BabelMed l’occasion de participer au “laboratoire” de journalisme, qui était normalement géré par Tabasco. Ce qu’on a vu lors des quatre journées renvoyait à un sujet global : l’utilisation de l’art dans des initiatives citoyennes de changement.

Le premier endroit auquel on a pensé, c’était le MAAM [Museodell’Altro e dell’Altrove di Metropoliz, le “Musée de l’Autre et de l’Ailleurs”], car c’est une expérience hors du commun, au niveau européen mais aussi international (Fatchavoir Le MAAM, musée hors la loi).

On avait aussi en tête d’aller voir les poètes et les peintres du Trullo (Fatchavoir La vita di Strada). Nous avions rencontré Mario et Flavio Solo, qui habite le quartier. Ils ont proposé de nous guider dans le quartier et nous ont permis de rencontrer l’acteur qui récitait les poésies, pour les valoriser davantage.

Pour Pinacci Nostri (Fatchavoir La vita di Strada) en revanche, les choses se sont faites différemment : c’est finalement Stella, mon chien qui a été le facteur déclencheur. Je la promène souvent la nuit dans ce quartier plein de petites ruelles. Il y a très peu de trafic, seuls les habitants le traversent la nuit. Ces explorations nocturnes m’ont permis de découvrir  les dessins sur les murs, et de reconnaître le dessin d’une artiste que je connaissais. Intriguée, je l’ai appelée : c’est elle qui m’a mise en contact avec Lello. C’est avec lui que Nathalie et moi avons organisé toutes les rencontres, tout le programme.”

Quels sont les autres projets auxquels vous aviez pu penser ?

J’avais aussi pensé à aux expériences de la Murga, une fanfare qui parade en jouant de la musique. Certaines sont vraiment intéressantes : elles ont regroupé les habitants des quartiers, de toutes les tranches d’âge. C’est quelque chose de nouveau, qui vient d’ailleurs, et que les gens ont très bien accueilli.

Il y avait aussi l’Orchestra di Piazza Vittorio, le premier orchestre multiethnique en Italie. C’est un projet à l’initiative d’une musicienne napolitaine basée à Rome, qui a repéré et rencontré des musiciens du quartier Piazza Vittorio. L’orchestre est devenu vraiment célèbre, ils ont fait une version de Carmen, une version de Shakespeare, etc. Ils jouent depuis une dizaine d’années maintenant, mais il y a déjà un film documentaire très connu là-dessus, ça ne collait pas au projet.

Dans ce même quartier, j’avais également parlé avec des membres de l’association Apollo Unici, des régisseurs de film documentaire.Apollo, c’est le nom d’un ancien cinéma qui avait une programmation axée sur le film documentaire, mais le lieu a fermé. L’association a fait renaître le cinéma de ses cendres en occupant une petite salle, pour relancer une programmation de ce type. Il y a trois ans, une école élémentaire multiethnique leur a cédé un local avec ouverture sur la rue, pour en faire une salle de cinéma. Aujourd’hui, c’est la seule salle de cinéma de Rome qui programme et valorise le film documentaire, et les films d’auteur italiens. J

J’avais aussi pensé à l’occupation d’une ancienne fabrique de viscose. Après sa fermeture, un groupe de jeunes a occupé un bout de l’usine et créé un centre social assez actif. En octobre, ils organisent le festival Logos dédié à la parole.

Que sais-tu du financement de ces initiatives?

Aucune des initiatives que nous avons vues n’a obtenu de soutien économique ou politique de la part de l’Etat. Quand tu lis la mention “soutenu par”, on parle d’un soutien purement symbolique. Et généralement, les associations refusent les financements publics.

En revanche, pour ces projets, la question du type de relation entretenue avec le politique, comme celle de ce que produit l’intervention politique sur les initiatives est centrale à mon sens.

L’exemple du Teatro Valle en est une parfaite illustration. C’était un théâtre public historique, situé au centre ville de Rome. Puis le ministère de la culture et la mairie ont fermé boutique.

Un groupe d’artistes a entrepris d’occuper les locaux pour y organiser une programmation théâtrale autonome, tous-publics. Dans le même temps, ils menaient une réflexion politique sur ce que sont les “biens communs” : le théâtre, ça n’est pas quelque chose qui appartient seulement à l’administration, ça nous appartient tous.

Cette expérience d’occupation est connue en Italie, plus largement en Europe, mais s’est mal terminée. Les occupants, épuisés après trois ans d’occupation ont accepté de négocier avec une municipalité qui garantissait la récupération du théâtre par les artistes une fois l’occupation terminée. Deux ans après l’occupation des lieux, le théâtre est toujours fermé. Rien ne bouge.

La méfiance à l’égard des institutions publiques s’est renforcée,c’est un sentiment largement partagé dans la sphère culturelle indépendante de Rome.

En plus de ça, la municipalité organise la fermeture de tous les bâtiments publics qui accueillent des associations à vocation politique, sociale, culturelle, en brandissant le mauvais bilan financier de l’immobilier public. Mais ces associations ne peuvent pas payer un loyer chaque mois. Ce mouvement ressemble de plus en plus à une sorte de “guerre” contre la culture. La situation est extrêmement tendue avec les autorités politiques.  Sans lieu pour faire une exposition ou un concert, tu finis par ne pas le faire : cela va sans doute avoir un impact sur la production culturelle indépendante.

Un centre social très dynamique a récemment été fermé. On a tenté d’organiser une manifestation, mais seule une trentaine de personnes se sont déplacées.

La mobilisation ne prend pas vraiment. Le climat empêche aussi aux associatifs encore “tolérés” de se mobiliser : ils s’exposent, se rendent visibles et risquent l’expulsion ensuite.


En Italie, la question des fonds publics pour la culture est centrale. Le Ministre actuel n’est pas mauvais : il est très intéressé par le cinéma, et a porté une loi populaire dans le milieu cinématographique. Il est plus compliqué de porter une vision pour le milieu culturel alternatif. Comment aider ces gens qui font du théâtre, du spectacle, des activités qui sont très liées au social?