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La rue Bernard du Bois, toujours un dessin baroque

By 11 juin 2019juin 14th, 2019Fatchaplus, Numéro 13

Nicolas Mémain, urbaniste poète, aborde les différents temps de cette rue-frontière.

Frontière hier lors de sa création au XVIIème siècle entre la ville et ses faubourgs. Frontière aujourd’hui entre le vieux quartier de Belsunce et le périmètre d’Euroméditerranée.

 

 

La rue Bernard du Bois est une des rues du quadrillage de Belsunce.

C’est une rue “tirée au cordeau”, comme d’autres rues qui ont été tracées en plantant des piquets et en tirant des ficelles, pour relier des petites places entre elles.

Ces rues ne sont jamais vraiment parallèles ; Bernard du Bois relie la petite place de la Porte d’Aix à la place des Marseillaises : c’est un dessin baroque du XVIIème siècle dans le plan de ville.

Le XVIIème marque l’agrandissement de la ville et la rue Bernard du Bois est la rue du “haut de Belsunc e”, plus éloignée du port, un peu plus populaire aussi. Au nord de la rue, on aperçoit les murs de la ville qui sont alors au niveau du boulevard Nédélec.

C’est un quartier qui est à l’int érieur de l’enceinte mais c’est aussi un bout du bout de la cité.

Il y avait un système d’aqueduc qui passait dans l’axe de la rue Bernard du Bois ; on le voit sur des gravures médiévales. C’était l’aqueduc de la Pomme qui allait chercher les eaux de l’Huveaune. Il passait au dessus de la vallée du Jarret et ramenait l’eau dans l’enceinte de la ville. Il y avait un système d’adduction d’eau avec des citernes qui apportait l’eau jusqu’au quartier de Saint-Jean, derrière le Panier. On peut voir encore une arche de l’aqueduc à côté de l’Hôtel de Région.

Le moment le plus historique, le plus sensationnel de la rue, c’est quand la rue Bernard du Bois croise la rue Longue des Capucins ; il y a là un îlot d’angle qui se termine en pointe.

Les rues convergent, et puis il y a une maison de ville qui f ait comme une proue de bateau dans l’îlot. Il y a aussi deux per spectives qui partent jusqu’aux collines de Marseilleveyre. C’est un dessin délicieusement baroque de ville tracée au cordeau mais dans ce cordeau, il y a des mises en sc ène du paysage.

Au XIXème siècle, il y a eu un renouvellement très fort. C’est le Second Empire, la ville délire sur sa splendeur ! La g are arrive sur le plateau Saint-Charles au bout de la rue Bernard du Bois. Les murs de l’enceinte du XVIIème tombent. Les vieux immeubles sont renouvelés et la grande brasserie Velten s’installe là avec son grand porche et l’usine à l’intérieur. Le tissu industriel s’intègre dans la ville. Des petites industries de savon, de sucre et de cire s’étaient déjà installées dans ce périmètre.

À la fin du XXème siècle, les industries s’effondrent. On démolit pour faire de l’urbanisme. Au nord de la rue Bernard du Bois, la Bourse du Travail est une grande opération d’urbanisme, avec ses immeubles années 30, 40 et 50. Le cimetière est enlevé et cède la place à l’université. Pour moi, ce moment de l’histoire de la ville avec ce nouveau paysage où il y a du démoli, de l’ abandonné et du neuf, c’est la poésie des faubourgs. C’est à hurler de beauté, c’est triste, c’est tout en même temps !

Ensuite, avec le projet Euroméditerranée, on continue de bâtir.

Lors de fouilles archéologiques dans les années 2000, on a trouvé des implantations néolithiques sur le côté nord de la rue Bernard du Bois. Les sols étaient jonchés de débris de silex, de tessons de céramique et surtout de coquillages consommés. Pour rigoler, je raconte que les archéologues ont gratté et ont trouvé le marché aux puces !

Maintenant sur ces vestiges, nous avons une série de petits immeubles qui sont inscrits sur le projet de la ZAC Saint Charles. Il y a entre autres un Appart-Hôtel et des résidences étudiantes qui essaient de réutiliser les murs anciens pour imiter la vieille ville. Il se dessine une silhouette générale d’immeubles pas très grands avec des lignes de toits qui montent et qui descendent, et on distingue aussi ce percement régulier à deux fenêtres, rarement plus.

La rue Bernard du Bois dans son gabarit fait partie du patrimoine ; c’est un héritage du XVIIème et on la garde telle quelle, et c’est très bien.