Nous nous sommes entretenus avec Thomas Denhier de Yes We Camp et Adrien Roques de Plateau Urbain pour faire le point sur la situation de Coco Velten. Une discussion sans filtre dans le rétroviseur de l’année 2021 et de ses incertitudes, mais aussi une projection sur des futurs possibles et des rêves partagés.
Tabasco Vidéo : est-ce que vous pouvez vous présenter et nous dire ce que vous faites à Coco Velten ?
Thomas : Je m’appelle Thomas Denhier, je partage la coordination du projet avec Kristel Guyon et je m’occupe aussi de la partie architecturale et technique du projet. Nous travaillons également en parallèle de la gestion du projet à sa pérennisation et je m’occupe en particulier de l’aspect rénovation/réaménagement du bâtiment.
TV : Vous êtes combien de Yes We Camp à travailler sur le projet ?
Thomas : On est 12 avec les services civiques et les stagiaires, sans compter la cantine.
TV: et toi Adrien ?
Adrien : Je m’appelle Adrien Roques, je travaille pour la coopérative Plateau Urbain depuis quatre ans, mais ça fait cinq ans que je travaille dans ce domaine d’activité, car j’ai démarré avec un service civique en 2017 aux Grands Voisins à Paris. J’étais d’abord animateur de communauté et après j’ai été assistant de responsables de site, puis j’ai contribué à ouvrir le site « Les Cinq Toits » dans le 16e arrondissement de Paris avec l’association Aurore. En trois mots : c’étaient 350 hébergés – principalement des résidents demandeurs d’asile, hommes isolés ou réfugiés statutaires. Il y avait aussi 100 places pour des familles, avec un restaurant d’insertion, des ateliers partagés, et une grande problématique d’accueil de ce public dans le 16e arrondissement de Paris qui s’était fait connaître pour sa désapprobation de ce type de projet.
Ici je suis en remplacement d’un congé maternité, et je suis chargé des Ateliers-Bureaux. Ce sont un tissu d’artisans, d’artistes, d’associations et d’entreprises de l’économie sociale et solidaire qui trouvent des locaux à loyers modérés dans un lieu dont la vocation est de créer des liens avec les personnes qui vivent ici, et donc de favoriser leur insertion professionnelle, leur inclusion sociale.
Donc mon travail c’est de créer des liens avec les partenaires que sont le Groupe SOS, qui est en charge de l’hébergement, et l’association Yes We Camp qui est en charge de l’accueil du public à travers la programmation culturelle et les aménagements extérieurs.
TV : Toi, Adrien comme tu as connu d’autres expériences d’occupation temporaire, est-ce que Coco Velten a une particularité par rapport aux autres projets?
Adrien : Coco Velten s’implante dans un territoire où ces types de projets sont moins connus. C’est différent que de travailler sur le territoire francilien où tout le monde a en souvenir le projet des Grands Voisins qui a marqué beaucoup de gens parce qu’il a été très médiatisé et très fréquenté. C’était un environnement qui est assez en avance sur les questions d’urbanisme transitoire. C’est un lieu qui a connu la visite de beaucoup d’officiels, de beaucoup d’institutions, et c’est une démarche qui est assez mature dans les pratiques de la ville. Il y a des subventions qui sont dédiées par exemple.
”Ce qui fait la grande force des tiers-lieux, c'est justement ce “truc indéterminé" où on a l'impression qu'il y a beaucoup de choses qui peuvent s'y passer et où on ne sait pas parfois où on va, même nous les premiers acteurs.
Adrien
Ce que je vois aussi c’est qu’en fait l’essence des tiers-lieux c’est de faire se rencontrer des publics différents et des pratiques professionnelles différentes. Vraiment, dans notre ADN, il y a la question du décloisonnement des pratiques professionnelles. Et on s’inscrit dans un champ qui est beaucoup plus large, qui est la mutation du travail social. Le travail social, c’est un des plus vieux métiers du monde qui a souffert aussi parfois de paternalisme. Au-dessus de nous, il y a une mutation de l’approche sociale. D’ailleurs à Coco Velten il y a toute une logique derrière de ce qu’on appelle « un logement d’abord ». À partir du moment où on crée la porosité entre des objets qui sont déjà identifiés, les gens sont un peu dans l’incertitude et on a du mal à déterminer ce nouveau truc. Même la notion de tiers-lieux fait énormément débat au sein des premiers acteurs. Tout le monde ne se reconnaît pas dans ce terme, tout le monde n’a pas la même approche. Parfois, on utilise le même terme mais on y met pas les mêmes ressorts théoriques derrière.
TV : à Marseille Coco Velten souffre parfois d’une mauvaise réputation. On lui reproche un manque d’ouverture sur le quartier. Et souvent les gens qui critiquent cet espace ne sont jamais venus à Coco Velten. Comment remédier à ça ?
Thomas : On essaie déjà d’y remédier à travers une programmation gratuite, diverse et variée. Le but c’est d’attirer tous types de personnes dans le lieu. C’est dans cette diversité d’activités qu’on essaie d’attirer un maximum de personnes pour comprendre le lieu, et ça crée des croisements entre différentes populations. Le but c’est de créer du mélange. Et comment on pourrait encore aller plus loin ?
Il y a la notion de « commun » aussi qu’on essaie de développer ici. Le but, c’est d’avoir un outil qui soit à la disposition des gens de « l’écosystème Coco Velten » mais aussi du quartier. Et il faut améliorer la compréhension de cette notion, il faut communiquer beaucoup plus dessus. Ici on fait beaucoup de co-construction en termes de programmation. Le but c’est vraiment de créer un espace commun, un outil de quartier où tout le monde peut proposer des activités.
Adrien : Là, on a un exemple typique, c’est un objet indéterminé, il y a la question sémantique, mais on va utiliser l’appellation tiers-lieu parce qu’on sait que c’est le terme le plus courant et qu’il faut l’utiliser si on veut se faire comprendre. En fait, il faut venir voir, il faut comprendre, il faut fréquenter pour comprendre ce que c’est. Ces endroits souffrent d’un à priori et ils demandent du temps. C’est d’ailleurs ce qui « pêche » un peu dans nos projets temporaires, le temps. Le temps est parfois nécessaire pour se faire accepter. Il faut trouver ce qui importe dans le territoire. Ici, la crise sanitaire a créé beaucoup de liens parce qu’il y avait un objectif commun avec l’aide alimentaire, par exemple.
”Nous, on a identifié tout ce qui se passait et tout ce qu'on voulait préserver à Coco Velten. Le but c'est qu'il y ait une continuité entre l'expérimentation et la pérennisation parce qu'on ne va pas se battre pour une pérennisation qui ne conserverait pas ce qu'on trouve bénéfique.
Thomas
TV : Pour vous, ça veut dire quoi « tiers-lieu » ?
Adrien : Ben moi, je ne me reconnais pas forcément dans ce terme là.
Thomas : Moi non plus. Le problème dans la notion de tiers-lieu, c’est qu’à l’heure actuelle, ça devient un peu un pot pourri de plein de choses et c’est pas mal récupéré. Moi je préfère la notion d’ espaces communs, de “commun ».
TV : Coco Velten est un projet temporaire et on constate que les ateliers-bureaux, les usagers, presque tout le monde veut que ça perdure dans le temps ! Est-ce que Coco Velten va perdurer ?
Thomas : Et bien, justement on travaille beaucoup dessus actuellement, et on étudie différentes pistes. Le but premier c’est de pérenniser les usages et les usagers du lieu. Après il y a une limite parce que si il y a un rachat citoyen ça implique des changements… À l’heure actuelle, il n’y a pas de loyer sur le bâtiment. Il y aurait donc une pression économique qui pourrait s’ajouter avec le rachat du bâtiment et donc ça pourrait changer le modèle économique, influer sur les futurs usages du lieu. Nous, on a identifié tout ce qui se passait et tout ce qu’on voulait préserver à Coco Velten. Le but c’est qu’il y ait une continuité entre l’expérimentation et la pérennisation parce qu’on ne va pas se battre pour une pérennisation qui ne conserverait pas ce qu’on trouve bénéfique.
”Il faut arrêter de considérer que l'hébergement c'est uniquement possible au sein d’’occupations temporaires. Il faudrait que dans la ville, on accepte que les hébergements d'urgence soient dans les bâtiments qui ne souffrent pas d'une date de fin.
Adrien
Adrien : Les occupations temporaires créent des situations exceptionnelles comme une sorte d’anomalie, parce que la ville est programmée, il ya des plans locaux d’urbanisme, là il y a une école, là il y a autre chose… En fait, dès qu’il y a un bâtiment vacant, on s’extrait de cette logique là et ça crée un espace qui devient accessible dans des conditions exceptionnelles. C’est à dire qu’on peut déroger à certaines règles, on peut bénéficier d’une absence de loyer, juste participer aux charges par exemple, et d’un coup cette anomalie crée des choses qui n’existent pas ailleurs.
Maintenant on nous demande de sortir de cette anomalie. On se retrouve dans les contraintes habituelles d’achat d’un foncier, de remboursement d’un crédit immobilier, de payer toutes les taxes, de se mettre aux normes…
Donc ça crée une confrontation avec ce à quoi les gens aspirent, car on voit bien que ces lieux sont populaires et les gens veulent que ça continue.
Et là, on met le doigt pile sur les limites de notre action : nous on est capable de prouver que ces initiatives peuvent exister mais uniquement dans des conditions exceptionnelles. Ça veut dire que l’occupation temporaire doit être vécue comme une preuve par l’exemple que c’est possible, et qu’il faut changer la norme pour que l’exceptionnelle devienne banale.
Parce que c’est super de créer des centres d’hébergement, mais il faut arrêter de considérer que l’hébergement c’est uniquement possible au sein d’’occupations temporaires. Il faudrait que dans la ville, on accepte que les hébergements d’urgence soient dans les bâtiments qui ne souffrent pas d’une date de fin.
Ça dénonce quelque chose. L’enjeu de Coco Velten, c’est peut-être une des premières fois où on va essayer de pérenniser des usages exceptionnels. On se confronte à certaines limites parce que les propriétaires, les politiques publiques et même les outils juridiques, sont questionnés.
”En ce qui concerne la question de la gentrification et de l'augmentation du prix du foncier, nous on est en plein dedans. Et on essaye justement de faire en sorte que les conditions exceptionnelles de l’occupation temporaire deviennent la norme pour éviter que son foncier dépende uniquement de logiques marchandes.
Adrien
On essaye aujourd’hui de redéfinir la manière dont on possède des bâtiments de manière à faire primer son usage sur sa propriété. En parallèle, il y a par exemple la question de créer des outils de foncières publiques qui seraient associées à des citoyens. On essaie d’inventer des modèles de gouvernance qui rendent les bâtiments incessibles et qui permettent de sortir de la logique financière de l’immobilier. On essaie de se réapproprier ce qu’on considère comme légitimement appartenir au plus grand nombre, c’est-à dire la maîtrise foncière.
Et justement, on parle de la perception de Coco Velten. Parce que les gens pensent que ça vient de l’Etat, que ça vient des parisiens, que ça gentrifie le quartier, etc. Alors qu’en ce qui concerne la question de la gentrification et de l’augmentation du prix du foncier, nous on est en plein dedans. Et on essaye justement de faire en sorte que les conditions exceptionnelles de l’occupation temporaire deviennent la norme pour éviter que son foncier dépende uniquement de logiques marchandes.
TV : On parle aujourd’hui de pérennisation. Pour mieux comprendre, est-ce que vous pouvez revenir sur la dernière année passée de Coco Velten ?
Thomas : Le but c’était de prolonger l’expérimentation, donc d’obtenir une prolongation, puisque le projet devait se finir fin 2021. C’est ce pourquoi l’équipe s’est battue et on a obtenu une prolongation d’un an. Mais sous la condition que la Préfecture vende le bâtiment à la ville, ou à d’autres acteurs qui auraient pour but de pérenniser Coco Velten. Ça pourrait être Yes We Camp, à travers un rachat citoyen par exemple.
L’Etat n’a pas de projet pour ce bâtiment, donc c’était entre vider le bâtiment pour qu’il ne se passe rien, ou nous laisser continuer l’expérimentation pour ensuite pérenniser le projet. Ça avait du sens. Mais le délai d’un an est quand même assez court par rapport à l’ambition et au travail qu’il faut fournir.
Les étapes pour obtenir cette prolongation, ça a été des allers-retours avec la Préfecture – le changement de mairie a été important et nous a permis d’accélérer les échanges – la validation de la prolongation, et ensuite la validation des aides fournies.
TV : Aujourd’hui comment la mairie se positionne-t-elle par rapport à Coco Velten ?
Thomas : Elle nous accompagne. Il y a eu trois groupes de travail qui ont été constitués depuis le moment où on a eu cette validation de prolongation : un sur l’acquisition, un sur le projet d’exploitation et un sur les travaux. Et la mairie fait partie de ces 3 groupes. Ils nous accompagnent et sont favorables à la pérennisation du projet. Avec eux, on établit plusieurs pistes au niveau de l’acquisition et qui engendrent aussi des pistes différentes sur le projet d’exploitation.
”Dans le cadre d'un achat de bâtiment, il faut faire des travaux liés à l’énergie, à l’accessibilité - tout le bâtiment n'est pas accessible aux PMR. Il y a beaucoup de travaux à prendre en compte pour le projet à long terme. On devrait savoir si on reste ou s'il va falloir déménager dans les alentours de l'été.
Thomas
TV : Le temps passe très vite, à quel moment on pourra savoir quelle est la piste privilégiée ? Savoir si on déménage à la fin de l’année ?
Thomas : Normalement en mars, la mairie doit envoyer un courrier d’engagement de rachat du bâtiment à la Préfecture. Ensuite, il faudra en juin faire un choix de scénario d’acquisition, qui engendrera un scénario d’exploitation. Et début 2023, mandater une maîtrise d’ouvrage pour préparer de futurs travaux de réaménagement. En fait là, tout ce qu’on a fait comme travaux dans la première partie, ça a été des travaux d’aménagement qui ont été faits dans le cadre de l’occupation temporaire. Dans le cadre d’un achat de bâtiment, il faut faire des travaux liés à l’énergie, à l’accessibilité – tout le bâtiment n’est pas accessible aux PMR. Il y a beaucoup de travaux à prendre en compte pour le projet à long terme. On devrait savoir si on reste ou s’il va falloir déménager dans les alentours de l’été.
Tabasco : Comment ça s’est passé avec les ateliers-bureaux pendant la période de flottement ?
Adrien : Moi j’étais très étonné parce que je suis arrivé courant septembre avec une fermeture programmée le 31 décembre. J’avais déjà vécu ce type de situation et la démarche, ça a toujours été de ne jamais donner l’espoir d’une prolongation, même s’il y a des bruits de couloirs. La date est ferme et définitive.
Chez Plateau Urbain, on a un powerpoint qui est mis à jour à chaque occasion, qui est très détaillé mais qui est surtout adapté à l’Ile-de-France pour aider les gens à trouver un local derrière. Quand je suis arrivé et que j’ai vu c’était pas du tout vécu comme ça ici, j’étais un peu étonné parce que si c’est pas anticipé, ça peut être une situation très compliquée, et ce serait triste de partir sur cette note là. D’être dans un déménagement forcé, sans solutions derrière.
Ce qui m’a étonné, c’est que c’était pas seulement au niveau des Ateliers-Bureaux, c’était la même chose au niveau des équipes de Yes We Camp. SOS était plus préparé, ils avaient arrêté de recevoir des résidents, ils commençaient à trouver des solutions de ré-hébergement.
Thomas : Je pense que nous, on espérait vraiment jusqu’au bout que ce soit prolongé, donc on a commencé à préparer le départ mais quand on espère quelque chose c’est très difficile de penser autrement.
”C'était un peu compliqué… Il y avait un déni important et il fallait en sortir. Et donc pour préparer ça, l'idée c'était d'être un peu schizophrène et d'avancer sur deux scénarios : un scénario optimiste, un scénario pessimiste.
Adrien
Adrien : Mais la date se rapprochait et on commençait à être dans une zone rouge et ma particularité c’est que je venais d’arriver, donc j’étais moins impacté, j’étais moins attaché émotionnellement au projet, et donc je ne souffrais pas de cet espoir.
J’avais l’impression d’être un peu plus lucide sur la situation et je paniquais un peu parce que ma mission c’était quand-même de gérer les Ateliers-Bureaux et je ne voulais pas me retrouver avec 40 structures sur les bras !
C’était un peu compliqué… Il y avait un déni important et il fallait en sortir. Et donc pour préparer ça, l’idée c’était d’être un peu schizophrène et d’avancer sur deux scénarios : un scénario optimiste, un scénario pessimiste. Et donc j’avais fait un petit sondage pour préparer les deux scénarios. Un scénario de prolongation qui permettait d’imaginer comment on fonctionnerait si on devait augmenter les redevances. Et un scénario pessimiste pour préparer une sortie. Et il en était sorti un chiffre qui a fait bondir mes collègues à Paris, c’est que 96% des structures n’avaient pas commencé leurs recherches ! Donc, je me suis dit « ok ! La phase de déni est quand même très forte ! »
TV : Nous étions nous même dans cette situation, nous n’avions fait aucune recherche !
Adrien : La grande différence maintenant, c’est qu’on est en contact avec le propriétaire et on est tenu au courant de la suite. Ce qui était marquant ici, c’est qu’ il n’y avait pas de relation avec le propriétaire, qui est la Préfecture. Et c’est ce flou qui a généré ça, parce que si on avait été en relation et qu’on savait qu’on fermait, on aurait fermé et on aurait anticipé dès l’Eté. En fait, c’est ça la particularité, c’est qu’il y a eu des changements d’interlocuteurs côté Préfecture et ça a généré un flou.
Thomas : Oui, et puis je pense que ce qui a aussi pesé dans la balance, c’est la forte mobilisation qu’il y a eu sur les derniers mois pour que le projet perdure.
Tabasco : Donc, le chiffre de 96% ça a fait bondir tes collègues parisiens ?
Adrien : Ça a fait rire aussi ici ! Quand je suis arrivé, on m’appelait » la faucheuse », on pensait que j’étais envoyé de Paris pour fermer le site ! Du coup, j’ai complètement foiré ma mission ! Il a fallu gérer les angoisses quand-même, et ça c’était assez marquant, parce qu’être dans l’incertitude, l’émotion prend tellement de place que les choses deviennent difficiles à gérer. C’était une situation très particulière qui s’est bien terminée !
Maintenant, on commence à avoir de l’expérience et beaucoup de nos projets sont prolongés aussi. Mais sinon comment on gère les choses ? En étant pessimiste.
Tabasco : Ce sont des projets qui demandent beaucoup de temps et on a l’impression que ça s’arrête quand les choses se mettent vraiment en place. Et trouver un local pour nous, associations, c’est pas facile car les loyers sont très chers.
Adrien : Oui, c’est pour ça que je disais qu’il faut que ce soit considéré comme un moyen mais pas une fin en soi. J’avais demandé dans le sondage auprès des Ateliers-Bureaux quel était votre budget maximum, et en fait ça ne correspondait pas du tout au prix du marché du quartier.
Quand il y a des présentations auprès des institutions, ce sont des données très fortes car hyper concrètes. On peut dire « si vous voulez politiquement favoriser ce type de lieu, il faut créer les moyens pour, parce que le marché immobilier tel qu’il est ne permet pas ce genre de choses.”
Thomas : Avec la pérennisation on rentre donc dans un contexte économique très différent de celui de l’expérimentation. On a besoin des retours des usagers et des Ateliers-Bureaux, afin de définir collectivement ce qu’on veut pour cette pérennisation, en intégrant les futures contraintes.
Tabasco : quel est votre sentiment personnel sur Coco dans un an ?
Thomas : Déjà, qui dit rachat dit travaux. Si je me concentre sur les questions concrètes pour les ateliers-bureaux, ça veut dire qu’il y aura quand même à un moment un possible arrêt d’activité, ou du moins un phasage par lot pour éviter une fermeture totale. Si nous arrivons à garder une activité pendant les travaux se serait l’idéal, en tout cas il y aura bien un « avant » et un « après ».
Adrien : il y a un problème de temporalité. Entre ces neuf mois qui nous restent et le projet de foncière de la ville de Marseille, et ça va être difficile de s’accorder. Il existe des modèles juridiques de montage immobilier pour faire en sorte d’arrêter l’augmentation des prix à travers la séparation de la propriété du bâtiment de son sol, des baux emphytéotiques, qui permettraient de trouver une manière pour que la Ville soit plus en maîtrise des bâtiments qu’elle possède tout en préservant le modèle social de Coco.
”Aujourd'hui, il y a un problème d'économie du bâtiment et je pense qu'il faut vraiment qu'on change d'échelle pour pouvoir s'y retrouver. Il faudrait qu'on ait plus d'espaces pour accueillir les gens, qu'on ait plus de fréquentation.
Adrien
Si je me projette, je vois vraiment l’îlot comme le cœur du sujet. Je pense qu’on est un peu à l’étroit à Coco Velten alors qu’il y a tout un espace extérieur et j’aimerais qu’on rentre dans une logique de mutualisation des ressources à l’échelle de l’îlot Velten.
Et que les réunions de coordination, les réunions de pilotage, se fassent avec Yes we camp, Plateau Urbain et Groupe SOS, mais aussi avec la Cité de la Musique, le Contact Club, le CMA, le CCO. Qu’on mutualise les ressources humaines, les budgets, les outils de gestion…Le travail a déjà été amorcé par les équipes avant mon arrivée et
je sais qu’il y a beaucoup de freins encore à lever… Mais aujourd’hui, il y a un problème d’économie du bâtiment et je pense qu’il faut vraiment qu’on change d’échelle pour pouvoir s’y retrouver. Il faudrait qu’on ait plus d’espaces pour accueillir les gens, qu’on ait plus de fréquentation. Il faudrait qu’on soit moins à l’étroit, qu’on n’ait pas des fenêtres de résidents juste au dessus de la terrasse, il faudrait qu’on puisse investir le parc de sports, il faudrait qu’on crée plus de commun, plus de transversalité entre acteurs de l’îlot mais l’impulsion doit venir de la Mairie aussi.
Thomas : Ce qu’on fait déjà quand même !
Adrien : Oui, je ne dis pas que ça n’existe pas, je dis que ce sont les prémisses. Si je dois avoir une vision ou un projet, moi je pense que ce serait ça l’idéal.
Thomas : Moi je trouve que par rapport au début du projet, il y a beaucoup de choses maintenant qui « roulent » et qui fonctionnent ! C’était l’objectif et c’est très satisfaisant. Mais justement on n’a pas envie que ça s’arrête, on a envie que ça aille plus loin, d’où la frustration des projets temporaires.
Tabasco : qu’est-ce qui roule bien ?
Thomas : Par exemple les liens avec le quartier. Au début c’était difficile et aujourd’hui, on a vraiment de la cohésion. On discute tous ensemble et il y a beaucoup de projets : une fresque participative, la question de la signalétique de l’îlot, on a beaucoup plus de lien avec le quartier et c’était l’objectif premier. Il y a beaucoup de choses qui roulent aussi dans le fonctionnement des équipes parce qu’il y avait tout à créer au début et maintenant ça fonctionne bien.
”Normalement, un centre d'hébergement comme ça, les gens ne sortent pas, ils restent entre eux, ils ne se mélangent pas, ils n'ont pas d'interaction sociale avec d'autres personnes.
Adrien
Adrien : Sur les différents projets sur lesquels j’ai travaillé, on se rend bien compte qu’il y a des temps qui sont incompressibles comme la stabilisation des équipes et la stabilisation des usages, des habitudes. Qu’on le veuille ou non, ça prend du temps. Et quand on s’approche d’une fermeture, on s’extrait du cœur du projet, du commun, on est très focalisé sur son propre déménagement, et donc finalement le temps qui reste au milieu, il est encore plus raccourci.
On essaie au maximum d’éviter les projets trop courts. Moi, je trouve qu’une des grandes réussites de Coco Velten, c’est le lien entre la résidence sociale et le reste, parce que de voir les travailleurs sociaux autant impliqués dans le projet, de passer autant de temps informel, le fait que les résidents s’impliquent aussi dans le fonctionnement de la cantine par exemple, ça c’est rare et il faut en avoir conscience.
Il y a une grande qualité de relation et d’implication dans le projet. Pour moi, c’est vraiment une super réussite. Le fait d’avoir des travailleurs sociaux en adéquation totale avec le projet, qui changent leur travail social, car il y a plein de règles dans le travail social qu’on ne respecte pas ici : avoir un lieu de vente d’alcool par exemple, le fait d’avoir des espaces communs, un lieu qui accueille du public…
L’expérimentation, ça a permis maintenant d’avoir des équipes sociales qui nouent des partenariats et qui changent leur manière d’accueillir « les hébergés ». Parce que normalement, un centre d’hébergement comme ça, les gens ne sortent pas, ils restent entre eux, ils ne se mélangent pas, ils n’ont pas d’interaction sociale avec d’autres personnes.
Tabasco : On a fait le podcast de ce numéro avec Steve qui est résident et bénévole à la cantine, c’est une belle réussite de Coco Velten, non ?
Adrien : Il y a une chercheuse qui travaille actuellement avec le Groupe SOS et qui est en train de faire une étude comparative avec d’autres centres d’hébergement plus classiques. C’est ce qui me manque aujourd’hui. Quand on est là au quotidien on est assez convaincus par le modèle puisqu’on le voit. Mais on doit quand même prouver les résultats si on veut trouver des subventions. Il faut des évaluations et c’est très difficile de pouvoir comparer. Le travail d’Héloïse va être important.
Ce que je trouve aussi très intéressant, c’est de voir la capacité d’inspiration que ça procure aux gens. Peut-être qu’on est à côté de la plaque et de toute façon, on n’est pas parfait mais je trouve que la capacité de ces lieux à générer un nouvel imaginaire, à dire que certaines choses sont possibles, c’est très important parce que d’autres structures sociales peuvent s’inspirer. Parfois il y a aussi des petites touches, des gens qui vont récupérer une idée…
Thomas : Ce sont des lieux qui remettent un peu en question ce qui se fait de façon « établie » et qui permettent d’être créatif, de faire émerger de nouvelles façons de faire. Le but ce n’est pas forcément que tout soit reproduit à l’identique mais de prendre des petites choses et ça c’est très important. Donc justement dans le projet pérenne, tout ne sera peut-être pas récupéré, mais au moins ça aura servi à construire quelque chose sur la durée et qui aura inspiré d’autres personnes, et ça c’est quand même l’un des avantages des projets temporaires, c’est un temps pour re-questionner, et ça il faut tout le temps que ça existe, je trouve !