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Formation, médiation, sensibilisation… Il faut travailler sur la façon dont on appréhende l’espace public

By 29 novembre 2021décembre 10th, 2021Fatchalire, Numéro 18

Après avoir réalisé des micro-trottoirs dans le centre-ville de Marseille sur la question du harcèlement de rue et avoir recueilli de nombreux témoignages, les jeunes du Contact Club de Noaïlles ont interviewé Audrey Gatian, adjointe de la Ville de Marseille, pour savoir comment la municipalité s’emparait de ce problème.

Bonjour, pouvez-vous vous présenter et nous dire vos fonctions.

Je suis Audrey Gatian, je suis adjointe au maire de Marseille en charge de la Politique de la Ville et des Mobilités. J’ai aussi créé il y a 11 ans dans les Bouches-du-Rhône l’antenne de l’association “Osez le féminisme”. Je me suis donc beaucoup penchée, et depuis des années, sur les questions qu’on va aborder.

Pouvez-vous définir le harcèlement de rue ?

Le harcèlement de rue, selon moi, c’est plutôt à destination des femmes : ce sont les femmes et les filles qui se font harceler dans la rue. Ça se traduit par des interpellations, toutes sortes de mots, de gestes, d’attitudes qu’ont des personnes dans la rue, des hommes, qui vont interpeller de façon insistante. Il y a dans le harcèlement la notion d’insistance et aussi la question de consentement. Il n’y a pas dans cette interpellation de consentement, il n’y a pas eu de signaux qui ont invité la personne à l’interpeller. Et puis, il y a le problème de l’insulte qui arrive vite. Bien souvent, cela commence avec une petite intervention : ”bonjour”, “salut, ça va ?”, et souvent ça dérape et ça devient beaucoup plus agressif. Donc le harcèlement de rue, c’est un ensemble d’attitudes et de paroles qui vont perturber le cheminement des femmes. C’est lorsqu’elle marche dans la rue qu’une femme est interpellée de la sorte et cela créé un climat d’insécurité. On ne se sent pas vraiment à l’aise et cela donne l’impression que l’espace public, la rue ne sont pas fait pour les femmes. C’est assez complexe le harcèlement de rue.

Vous pouvez-nous dire ce qu’il en est à Marseille ?

Marseille, c’est une très grande ville, la deuxième ville de France. La situation à Marseille n’est pas différente de celle d’une grande ville et le harcèlement de rue est présent dans toutes les grandes villes, beaucoup plus qu’à la campagne.

La situation est-elle la même qu’il y a 20 ans ?

Ça c’est la question qu’on se pose un peu toutes et tous. Je pense qu’on a changé de regard sur le harcèlement de rue. Se faire siffler dans la rue, ça existe depuis longtemps mais aujourd’hui cela questionne beaucoup plus. On a avancé. Avant on trouvait cela normal, maintenant les mentalités ont changé. Il y aujourd’hui une prise de conscience et les jeunes sont beaucoup plus sensibilisés sur ces questions là, notamment à l’école. La ville de Marseille travaille beaucoup sur ces questions et sur le partage de la cour de récréation. L’espace public commence là : comment on se répartit dans une cour d’école, c’est souvent comment on se répartit dans l’espace public ou dans une rue. Souvent les garçons prennent possession de toute la cour d’école, pour jouer au foot, et les filles se retrouvent dans les coins. “Comment on appréhende l’espace ?” Voilà, les questions sur lesquelles on travaille maintenant.

Ça vous est déjà arrivé d’être harcelée dans la rue ?

Oui, plein de fois, et pas qu’à Marseille ! C’est une interpellation, c’est “hey ! Mademoiselle, mademoiselle !”. Si on ne répond pas, ça se transforme en insulte. Oui, ça m’est  arrivé et ça continue de m’arriver. Faire attention quand on rentre tard le soir, des voitures qui font marche arrière… Dans les transports en commun aussi. 87% des femmes ont déjà été harcelées dans les transports en commun. C’est le résultat d’une étude de la Fédération Nationale des Usagers des Transports Publics.

Qu’est-ce que fait la Ville de Marseille pour lutter contre le harcèlement de rue ? 

C’est un vaste problème ! L’objectif n’est pas d’avoir un policier à chaque coin de rue pour surveiller que des hommes n’harcèlent pas. Il y a tout un travail d’éducation et de sensibilisation à faire. Pourquoi on se retrouve dans ces situations ? Pourquoi les garçons et les hommes se sentent autorisés à avoir ces comportements là ? Tout ce travail, nous souhaitons le mettre en place dans les écoles. Nous travaillons aussi avec la Métropole sur la situation dans les transports en commun. On a travaillé par exemple sur les arrêts à la demande, la nuit. Moi, c’est une chose que j’ai vu il y a 15 ans au Canada. C’est la possibilité de demander au chauffeur de s’arrêter entre deux arrêts près de notre domicile par exemple, tout en restant sur la ligne de bus. On disait au chauffeur, “arrêtez-moi là, j’habite juste à côté”. Cela existe depuis des années dans d’autres villes, et là, nous sommes en train de l’expérimenter à Marseille, sur les bus de nuit. D’ailleurs il n’y a pas assez de bus de nuit, mais ça c’est un autre problème !

Ensuite, il y a beaucoup de choses à faire pour que l’espace public soit plus accueillant. Il y a plein de choses à co-construire avec la population pour qu’on puisse se balader dans la rue en toute tranquillité.

Qu’est-ce qu’on peut faire au quotidien pour que ça change ? 

Ah ! ça c’est une grande question ! Ce que vous faites, par exemple, réfléchir à la question, c’est déjà un grand pas vers ce qu’on peut faire. Quand on commence à avoir une réflexion, c’est qu’on se sensibilise à un sujet et on en parle autour de soi. Et ça, c’est très important. Il y  a vingt ans, les jeunes de votre âge ne parlaient pas du harcèlement de rue. Le fait que vous vous saisissiez de ce sujet montre que le monde avance et que vous le faîtes avancer. Vous pouvez aussi militer dans des associations qui font en sorte de sensibiliser le plus grand nombre. Et, en tant que fille, en tant que femme, il faut occuper l’espace public. Il ne faut pas que le harcèlement de rue soit un frein, il ne faut pas avoir peur d’aller dans la rue. L’espace public doit être un espace de mixité. On a souvent relégué les femmes à l’intérieur en leur disant  que l’extérieur était dangereux. Certes, il y a du harcèlement de rue mais il ne faut pas avoir peur de sortir. Il faut se saisir du problème !

Quelles solutions existent pour les femmes qui subissent du harcèlement de rue ? Peuvent-elles porter plainte ?

Le harcèlement de rue est un délit, donc oui, elles peuvent porter plainte, mais ce n’est pas évident. Globalement les femmes ne portent pas plaintes. Le processus est compliqué, on se dit que notre parole va être remise en cause ou que la plainte sera classée sans suite.  Le nombre de plaintes ne correspond pas au nombre de témoignages. Il y a un gros décalage. 

Il faut qu’il y ait des formations sur la prise des plaintes et sur la reconnaissance de ces violences là. Il y a encore des cas où la police a tendance à minimiser et ça, c’est inacceptable. Nous sommes en train de mettre des formations en place au sein de la police municipale pour faire en sorte que la parole des femmes soit beaucoup plus entendue. Il faut que les femmes se sentent en confiance pour porter plainte.

Il y a des femmes qui évitent certaines rues en ville parce qu’elles ont peur…

Oui et  il faut qu’on  travaille là-dessus. Éviter certaines rues, on le fait toutes, moi y compris ! On fait des détours de plusieurs minutes parce qu’on se dit “ça va être compliqué, j’ai pas envie, j’ai pas la force de répondre…”  Ça n’est pas normal. Il faut que l’espace public soit beaucoup plus accueillant pour les femmes. Il faut travailler autour de l’éclairage public par exemple. Les espaces peu éclairés ne sont pas très sécurisants. Dans ces endroits, on accélère le pas, on ne se sent pas très sereine. Et ensuite, quand on a identifié qu’un endroit pose problème, il faut voir ce qu’on peut faire pour qu’il n’y ait plus de problème. Ça peut être avec l’éclairage, ou la présence de médiateurs. Il n’y a que les femmes qui font des détours en ville pour éviter certains endroits. On a pas encore tout résolu ! Il y a du travail, il faut mobiliser tous les moyens et toutes les solutions possibles. Il n’y a pas qu’une seule solution, il y a plein de petites solutions qui mises bout à bout peuvent changer les choses.

Quelle est la meilleure réaction à avoir si l’on est témoin de harcèlement ?

Alors, je vais commencer par les meilleures réactions à avoir lorsqu’on est victime. Quand on est victime, il faut trouver un allié, une personne qu’on va interpeller et qui va faire diversion. 

Lorsqu’on est témoin, le mieux est d’intervenir et de demander à la femme si tout va bien, lui montrer qu’elle n’est pas seule. 

Si on considère que les actions de sensibilisation ou l’éducation ne changent pas les choses assez, que peut-on faire concrètement dans l’espace public pour lutter contre le harcèlement ? Est-ce que la ville de Marseille réfléchit à ça ?

Moi je crois beaucoup en la médiation. On a mis en place des équipes de médiateurs dans plusieurs quartiers. Mais la ville est très grande et il nous faut plus de médiateurs. En ce qui concerne les transports en commun, la RTM a mené une campagne de sensibilisation et a mis en place un numéro d’appel. Plus on a de présence humaine pour pacifier les relations, mieux ça sera. Il y a aussi, comme je le disais tout à l’heure, l’éclairage public. Et ensuite, sûrement des projets d’urbanisme, d’aménagement de l’espace qui fasse en sorte que  les femmes s’autorisent à rester dans l’espace  public. Les femmes, souvent, traversent l’espace public. Elles vont d’un point A à un point B. Elles se déplacent et ne s’arrêtent pas. Comment faire pour que les femmes investissent l’espace public ? Il faut beaucoup plus de mixité dans les rues.  

Mais je pense que le travail de sensibilisation est efficace. On parle de plus en plus du problème du harcèlement de rue. Les choses avancent et vous en êtes la preuve !