Nicolas Détrie, co-fondateur de Yes we camp, est aujourd’hui engagé dans différentes initiatives politiques et culturelles. Formé à l’urbanisme et à l’économie urbaine, il a créé et animé de nombreux dispositifs participatifs et tiers-lieux, dans des terrains et bâtiments mis à disposition à titre gracieux, dont Coco Velten.
Il travaille actuellement à la pérennisation de ce projet.
Tabasco Vidéo : On parle de rachat citoyen comme hypothèse de pérennisation de Coco Velten. Est-ce que tu peux nous expliquer ce que c’est ?
Nicolas : Il y a des groupes qui existent sans lieu, mais on voit combien un endroit, un espace, un bâtiment, un terrain, peut devenir le réceptacle et l’accélérateur d’initiatives citoyennes. Je trouve qu’il y a une conscience accrue aujourd’hui sur le fait que l’espace est une ressource – une ressource d’invention citoyenne, d’invention démocratique.
Dans un endroit on peut tester d’autres modes de production, de biens, de services, d’alimentation. C’est cela que l’on appelle tiers-lieu, tiers-lieu agricole, tiers-lieu rural, tiers-lieu d’activité, etc. Ce sont des endroits dans lesquels des choses nouvelles se fabriquent. Mais la plupart du temps, ces endroits n’appartiennent pas à ceux qui participent à cette invention car ces gens qui veulent faire différemment n’ont pas beaucoup d’argent, ils ne font pas partie des « dominants ».
Et aujourd’hui, il y a en Europe et ailleurs, des endroits de quelques centaines à quelques milliers de mètres carrés, dans lesquels il y a des initiatives citoyennes qui se sont fabriquées petit à petit et qui trouvent une forme de maturité. Et dans ce cas là, on se dit « il faudrait que l’on sorte de la précarité, il faudrait qu’on soit propriétaire. »
C’est quoi la précarité ? C’est de pouvoir se faire virer l’année prochaine, dans six mois, dans deux ans. Ce type de projets demande du long terme pour s’épanouir.
Par exemple, à Coco Velten, on pourrait avoir des structures, si elles avaient 10 ans devant elles, qui pourraient développer un super atelier de bricolage partagé. Par contre, si dans six mois elles peuvent se faire virer, elles ne vont pas le faire.
”On a droit à ces espaces communs, que l’on peut également nommer espaces tiers, espaces alternatifs, espaces d'accueil des initiatives populaires, collectives et citoyennes. On en a besoin, et pour que ces espaces se structurent davantage, il faut qu'ils aient des droits fonciers, des droits immobiliers rassurants et pérennes.
La deuxième chose importante dans le fait de devenir propriétaire, c’est de ne pas payer de loyer ou du moins de payer un loyer peu cher. Pourquoi l’espace est aussi une ressource ? C’est que c’est devenu cher, en tout cas dans les endroits urbains. En milieu rural c’est un peu différent, mais la mécanique du marché immobilier fait que ça coûte très cher. Et quand on doit payer un loyer cher, il y a plein de trucs qu’on ne peut plus faire. Par exemple, concernant l’atelier de bricolage partagé, si le loyer est cher, il ne va même pas exister.
Si à l’échelle de notre société on veut transformer notre mode opératoire pour des raisons sociales et écologiques, il faut avoir des endroits où on ne paye pas de loyer, ou un loyer minime.
Qu’est-ce qu’on voit lorsqu’on se promène en ville ? Des restaurants, des logements, des bureaux, un centre commercial. On voit des objets qui ont une fonction bien déterminée avec leur modèle économique classique, mais il n’y a quasiment aucun espace où c’est possible d’essayer de faire des choses différement.
On a droit à ces espaces communs, que l’on peut également nommer espaces tiers, espaces alternatifs, espaces d’accueil des initiatives populaires, collectives et citoyennes. On en a besoin, et pour que ces espaces se structurent davantage, il faut qu’ils aient des droits fonciers, des droits immobiliers rassurants et pérennes.
Alors comment on fait ? Quand on est opérateur de ce type d’endroit, quelque part on s’en fiche un peu d’être propriétaire, ce qu’on veut c’est avoir le droit de rester pour pas cher et pour longtemps, donc il nous faut un propriétaire bienveillant. Alors c’est qui ce propriétaire bienveillant ? Soit c’est quelqu’un d’autre, soit il faut le devenir soi-même. Et comment on fait pour le devenir soi même ? On fait la collecte. « J’ai combien ? Tu as combien ? On a assez ? On achète !” Et ça marche pour des projets qui ne sont pas trop chers.
Par exemple le projet la Déviation(1) ou Manifesten (2) à Marseille.
Il y a aussi des tiers-lieux à la campagne où des rachats citoyens ont abouti, mais nous sommes dans des montants qui ne dépassent pas 500 000 euros. Et puis, il y a le problème de l’emprunt car souvent les banques ne prêtent pas à des initiatives citoyennes.
Donc quand on dit « rachat citoyen », l’enjeu ça va être : est-ce qu’on est capable d’emprunter ? Si on veut acheter sans faire d’emprunt, soit on fait des emprunts de proche en proche, c’est ce qu’ils ont fait à La Déviation. Ils devaient racheter 500 000 euros leur bâtiment pour créer des résidences artistiques, ce qu’ils faisaient déjà depuis plusieurs années en payant un loyer à un propriétaire. Ils ont mis deux ans à peu près, à demander de l’argent aux uns et aux autres, soit des dons, soit des prêts, des micro-prêts remboursables sur demande.
C’est une forme de rachat citoyen plutôt adaptée aux lieux pas trop cher.
Parfois ces collectifs citoyens vont au bout de la démarche de dire “on veut la propriété qui protège mais pas la propriété qui nous enrichit”, donc ils se donnent des règles : ou ils s’interdisent de revendre le site qu’ils ont acheté, ou ils s’interdisent de revendre plus cher les parts qu’ils ont acheté. Parce que souvent, ce sont des initiatives qui ont souffert du renchérissement des prix de l’immobilier, et ces prix qui montent nous fragilisent, nous qui voulons faire les choses différemment, donc on ne veut pas, en devenant propriétaire, faire du profit.
”L'exemple de la Friche est intéressant car il a ce soutien public assez fort. Et il y a aussi la dynamique collégiale qui existe de manière assez forte, avec un collège de proximité où des habitants, riverains, peuvent donner leur avis, avoir accès à l'information, peser sur les prises de décisions de la Friche, et puis évidemment, les occupants du site qui donnent aussi leurs voix.
TV : Quels sont les obstacles de cette forme de rachat citoyen ?
Nicolas : Les écueils que je vois aujourd’hui c’est le prix d’achat. Parce qu’on a difficilement accès à l’emprunt bancaire on va dépendre de ce qu’on est capable de se donner les uns aux autres.
Ensuite c’est la gouvernance, car un rachat citoyen c’est souvent un rachat collectif en collégiale et c’est pas toujours facile dans le long terme de faire tenir des structures collectives. Le fait qu’on soit nombreux, parfois ça rend difficile de prendre des décisions de management ou de pilotage qui sont dures.
Si il y a moins d’argent, si c’est mon projet à moi par exemple, je vois bien que je vais être en “galère financière” et je vais faire le licenciement que je n’ai pas envie de faire.
Si on est en groupe on va dire collectivement “non, il faut continuer notre mission sociale, notre mission culturelle, etc.”
Donc, je trouve qu’il y a un écueil dans le cas où on n’a pas un partenaire public qui assure une sorte de régularité de soutien. Par exemple si on a un gros pépin, un covid, on peut compter sur ce partenariat public.
L’exemple de la Friche (La Friche Belle de Mai – NDLR) est intéressant car il a ce soutien public assez fort. Et il y a aussi la dynamique collégiale qui existe de manière assez forte, avec un collège de proximité où des habitants, riverains, peuvent donner leur avis, avoir accès à l’information, peser sur les prises de décisions de la Friche, et puis évidemment, les occupants du site qui donnent aussi leurs voix.
Donc ça c’est le rachat citoyen.
Et l’autre manière, c’est d’avoir une structure qui n’a pas trop besoin de rentrer de l’argent, donc le propriétaire parfait ! Il achète et il ne nous fait pas payer de loyer et il promet de pas nous virer.
Ça, ça peut exister et ça s’appelle l’Etat ! Je trouve que c’est un mécanisme où c’est une propriété publique qui ensuite confie la gestion à la société civile, ce qui est aussi le modèle Friche Belle de Mai. Le montage c’est que c’est une propriété publique, c’est la Ville qui a acquis les lieux et financé des dizaines de millions d’euros de travaux et qui ensuite a fait un bail de trente-cinq ans à la société coopérative qui gère le site.
Sur un cas comme Coco Velten, le plus favorable ce serait que ce soit l’Etat où la Ville qui achète et qui finance les travaux et qui ensuite donne les clés à Coco Velten pour rester sur une durée un peu longue.
”Le “contrat d'usage”, c'est assez intéressant. Nous, quelque part, c'est ce qu'on réclame pour Coco Velten. On dit "donnez-nous le bâtiment gratuit et en échange, on continue de faire de cet endroit un lieu qui prône l'accueil inconditionnel.” On veut des loyers moins chers mais c'est pour accueillir des structures de l'économie sociale solidaire.
Tabasco : Et tu penses que c’est envisageable ?
Nicolas : Oui, c’est envisageable. C’est pas hyper dans l’air du temps parce que l’Etat est plutôt en train de vendre des actifs immobiliers, et la Ville de Marseille ne cherche pas à acheter. Il faut avoir une stratégie patrimoniale à long terme, à 10, 15, 20 ans.
Si on parle de Coco Velten, on est en plein centre-ville, à une place stratégique, à côté de la nouvelle école des métiers de la ville, à côté de la gare. Le prix auquel l’Etat vendrait ce bâtiment aujourd’hui, il n’est pas cher. Il y a différents systèmes de décote, mais on va dire que ça serait entre 1,6 millions et 2,5 millions. Pour 4000 m² en centre ville c’est un prix pas très cher.
Du coup, est-ce que ça vaut la peine d’avoir une recette “aussi faible” et perdre un actif immobilier stratégique ? Peut-être que c’est plus pertinent de le garder. Mais pour ça il faut s’inscrire dans une stratégie patrimoniale immobilière de long terme.
Et puis, quand on se pose la question de l’acquisition, le vrai sujet ce n’est pas tant l’acquisition du bâtiment au prix que je viens de dire, c’est les travaux ! Il y a entre 1,5 et 3 millions d’euros de travaux à faire sur le bâtiment, si on veut le remettre aux normes actuelles, avec la réglementation thermique, etc.
Aujourd’hui le caractère précaire du bâtiment fait qu’on a des dérogations sur des travaux que nous devrions faire. Pas les travaux de sécurité, car ça, c’est obligatoire, mais sur les accès handicapé, sur l’isolation thermique. Avec une acquisition on serait contraint de faire tous ces travaux qui ont un montant important.
Mais le propriétaire bienveillant peut être aussi une structure privée.
En Suisse et en Allemagne par exemple, il y a de grosse fondations qui existent depuis 500 ans, souvent des anciennes fondations chrétiennes, qui possèdent beaucoup de bâtiments, et qui touchent des loyers très faibles. Mais au bout de 500 ans, ça fait une trésorerie confortable !
Et ce sont des structures qui sont prêtes, quand il y a un projet d’intérêt social, culturel, citoyen, à acheter un site et demander des petits loyers avec des contraintes d’usages.
Le “contrat d’usage”, c’est assez intéressant. Nous, quelque part, c’est ce qu’on réclame pour Coco Velten. On dit « donnez-nous le bâtiment gratuit et en échange, on continue de faire de cet endroit un lieu qui prône l’accueil inconditionnel.” On veut des loyers moins chers mais c’est pour accueillir des structures de l’économie sociale solidaire. Ici, la dimension sociale, culturelle, économique, l’artisanat, les espaces accessibles gratuitement sont indispensables… Tu peux aller aux toilettes, te reposer, prendre des vêtements, accéder à des prises électriques… On a l’hébergement d’urgence à proximité.
Donc, nous, on aimerait bien être contractualisés sur ces objectifs. Si on réussit à formaliser ses objectifs d’intérêt collectif, ça permet que les conditions favorables
qu’on peut avoir ici créent une contrainte sur les usages, une obligation à produire cette générosité. La puissance publique peut permettre d’avoir accès à un espace moins cher et il faut qu’en face elle ait du “service rendu”.
”C'est un peu triste parce que ça veut dire que nos projets citoyens ne peuvent pas vivre sans avoir une aide extérieure. Mais quelque part c'est correct, parce que sinon ça voudrait dire que le marché est capable de produire du service public
Finalement, on a un noeud sur cette question d’acquisition collective, c’est que l’économie produite par les projets citoyens, elle n’est pas vraiment capable d’encaisser le coût d’une acquisition plus travaux.
Nous sur Coco Velten, c’est là où on a de la tension, sur notre capacité à avoir une économie qui à la fois paye le service collectif et paye en plus le propriétaire ou la banque.
Aujourd’hui on arrive à financer Coco Velten parce qu’on ne paye pas de loyer. Donc, c’est un peu triste parce que ça veut dire que nos projets citoyens ne peuvent pas vivre sans avoir une aide extérieure. Mais quelque part c’est correct, parce que sinon ça voudrait dire que le marché est capable de produire du service public.
Et parfois on se raconte ça, on dit “l’ESS c’est génial” mais c’est un peu un pansement sur une jambe de bois. parce que ce n’est pas vrai que des acteurs de l’innovation sociale sont capables de faire sur leur propre économie autofinancée de l’innovation publique et sociale !
Après, il y a différentes lectures, on peut être très autonomiste, et dire “je ne veux surtout pas dépendre de mon maire ou de mon président de la république et je veux fabriquer mon autonomie”, et c’est possible dans certains cas, les petits projets dont j’ai parlé au début.
Mais dans le cas de Coco Velten, même s’il y a beaucoup d’engagement, il y a quand même beaucoup de salariat. Globalement la plupart des gens qui bossent ici sont salariés. Donc on aura du mal à être à 100% en autofinancement, on va avoir besoin d’une aide extérieure privée ou publique.
Privée, il faudrait avoir un super mécène, mais pour l’instant, on n’en connaît pas.
Et publique, cela pourrait venir de différents endroits. L’ANRU, par exemple, dans le plan « Marseille en Grand » pourrait dire “les deux millions d’euros de travaux que vous devez faire, moi je le mets dans mon plan de rénovation urbaine du quartier parce que je préfère que le projet existe mais par contre après vous vous débrouillez sur la gestion dans le long terme”.
Donc en fait, ça peut venir au moment du montage acquisition- travaux ou ça peut venir dans la durée, ou encore mieux : “moi l’Etat, moi la Ville, je l’achète, je fais les travaux et je vous le mets à disposition.”
”Il faut faire attention à ce qu'on dit et là je pense qu'aujourd'hui notre message doit se transformer pour devenir "nous voulons que le bâtiment nous soit mis à disposition sans loyer parce que nous produisons un service local."
TV : D’ailleurs, ici, ça serait sûrement le meilleur scénario ! Quand on écoute les ateliers-bureaux, il n’y a pas une grosse envie de devenir propriétaire.
Nicolas : En effet, ce qu’on veut surtout c’est rester dans des conditions favorables, pouvoir se projeter et ne pas payer le même loyer que le Starbuck Café. Et donc il faut faire attention à ce qu’on produit comme message parce que l’année dernière, pour avoir le prolongement, le message c’était « on est capable d’acheter, donnez-nous le temps de préparer ça ».
Mais là en travaillant sur cette hypothèse, on voit que c’est pas évident, que si on n’a pas d’aides, ça ne va pas marcher, ou alors on va se mettre dans une situation où on ne pourra pas faire un Coco Velten qui nous convient.
Si à la fin, il faut qu’on double tous les loyers et que la cantine monte ses prix et qu’il n’y ait plus l’accueil inconditionnel des personnes fragiles, ça ne sert plus à rien. Donc, il faut faire attention à ce qu’on dit et là je pense qu’aujourd’hui notre message doit se transformer pour devenir « nous voulons que le bâtiment nous soit mis à disposition sans loyer parce que nous produisons un service local »
Tabasco Vidéo : Et la ville doit se prononcer quand ?
Nicolas : L’année dernière, quand la préfecture nous a prolongé d’un an, elle ne l’a pas fait seulement en nous faisant confiance, elle a fait aussi confiance à la Ville qui l’année dernière a pris un engagement politique en nous soutenant et en s’engageant dans notre pérennisation. Donc là le préfet a demandé confirmation au maire de Marseille qui va répondre un oui de principe. Et ensuite, tout le monde va devoir se positionner, Yes We Camp et les Ateliers-Bureaux. On va devoir
prendre une position commune et dire « voilà, ce qu’on est capable de faire, voilà ce
qu’on ne voudra pas faire et on préfère arrêter le projet plutôt que le faire dans des conditions qui ne seront pas viables ».
Ce qui est intéressant en prononçant les choses de cette manière, c’est que ça mettra le choix chez les institutions. Aujourd’hui, il est chez nous. La Ville et la Préfecture se disent « Coco Velten, ils ont dit qu’ils allaient produire un rachat citoyen, donc allez-y ». Mais en réalité, nous ne sommes pas capable de produire le rachat citoyen et nous avons besoin que l’institution publique prenne en charge la propriété et les travaux.
”C'est un crève-cœur si tout s'arrête, parce que je pense qu'on est le bâtiment le plus mixte de France, avec sur un même étage une salle de spectacle, des chambres d'hébergement d'urgence, des bureaux… Je ne crois pas que ça existe ailleurs. On en est tous fiers, mais l'organisation, l'ingénierie de la ville aujourd'hui, elle va surtout refaire les écoles et s'occuper du logement insalubre.
Donc c’est un décalage, c’est une nouvelle page du projet, mais je trouve que derrière, « en terme de discours politique », c’est assez important. Et après, si ils nous disent « non, on ne veut pas être l’acteur qui finance et qui porte la propriété mais sur le plan Marseille en Grand, on trouve le financement pour que vous réalisiez l’opération”, à ce moment-là, on peut le faire. En tout cas, on n’est pas capable de le faire en autonomie.
TV : Et la Ville est à l’écoute ?
Nicolas : Oui, elle est à l’écoute mais elle est aussi assez désemparée parce que Marseille est une ville dont le bâtiment est en très mauvais état. Il y a plein de logements vétustes, et il y a beaucoup d’écoles à rénover. La ville va prendre les choses une par une et on n’est pas au sommet de la liste. C’est un crève-cœur si tout s’arrête, parce que je pense qu’on est le bâtiment le plus mixte de France, avec sur un même étage une salle de spectacle, des chambres d’hébergement d’urgence, des bureaux… Je ne crois pas que ça existe ailleurs. On en est tous fiers, mais l’organisation, l’ingénierie de la ville aujourd’hui, elle va surtout refaire les écoles et s’occuper du logement insalubre.
TV : Et avec la spécificité d’un projet comme Coco Velten, l’Etat ne pourrait pas faire un effort et nous soutenir, faire les travaux ?
Nicolas : Si, surtout que la situation aujourd’hui, c’est que c’est l’Etat qui est notre propriétaire et qui nous met le bâtiment à disposition gratuitement. Et ça fonctionne. C’est donc une piste qu’il faut pousser, mais ils nous ont clairement dit l’année dernière qu’ils voulaient vendre avant le 31 décembre 2022.
Il y a un ultimatum qui est posé.
Mais en s’y prenant d’une manière douce, peut-être qu’on peut espérer les faire changer d’avis pour que ça reste une propriété des Domaines Publics. Et il faut qu’on fasse passer notre message haut et fort, dans la presse, pour mettre une pression positive à la Ville et à l’Etat.
Il y a quand même des outils qui existent, comme Euroméditerranée ou l’Etablissement Public Foncier…
Ce qu’on suppose, c’est que cette décision à prendre elle sera trop dure à prendre dès cette année de la part de la Ville ou de l’Etat.
On pourrait donc demander un prolongement de trois ans de l’occupation précaire, et c’est une solution qui peut être assez désirable finalement, comme ça on n’est pas soumis aux gros travaux.
On est pas si mal dans ce bâtiment aujourd’hui. Il faudra bien faire des travaux un jour, mais on peut encore rester trois ans comme ça. Sauf pour la résidence sociale parce que les conditions de vie ne sont pas très favorables et il y a une nécessité d’amélioration. Mais pour les autres occupants, on peut tout à fait rester en l’état, la cantine peut rester en l’état, la halle aussi, tout est utilisable. Et ça laisse au moins 3 ans pour voir de quoi on est capable.
Là, on a eu deux cent mille euros de subventions par an pour aider à l’amorçage du projet et ça ce sont des subventions que nous n’aurons plus. Donc est-ce qu’on est capable de faire le projet sans ces 200 000 € ? Moi, j’ai envie de répondre oui, je pense qu’on peut diminuer un peu des dépenses de gestion et augmenter un peu les recettes, et on a un truc qui s’autofinance.
Et puis après, si on arrive à développer la conciergerie avec les dispositifs « premières heures », si on continue l’aide alimentaire, ça fait à chaque fois des financements en plus qui font gonfler le volume économique et le volume d’activité en fonction de qu’on arrive à faire avec la communauté Coco Velten.
Je pense que ça pourrait être une option qui nous satisfasse tous. Et ça évite aussi un déménagement rapide car qui dit travaux dit probablement de sortir du bâtiment peut-être pendant un an ou deux ans.
”Nous, dans les projets urbains tels que Coco Velten, c'est pas si évident d'avoir un discours populaire au niveau national, de dire : donnez de l'argent pour mettre à disposition des "Coco Velten".
On a vu que le problème c’était le financement, donc soit l’emprunt bancaire soit les fonds propres. L’inspiration, là, c’est « Terre de Liens », c’est une structure qui travaille autour des surfaces agricoles pour encourager l’agriculture biologique, des nouvelles fermes portées par des nouveaux fermiers. L’idée c’est de leur mettre à disposition gratuitement le terrain. Et « Terre de Liens » finance ça par des dons de gens sous forme de parts sociales citoyennes.
C’est 100 € une part. Moi, par exemple, j’en ai acheté quelques unes. Si je veux les récupérer, je peux. Et ils ont en permanence 100 millions d’euros d’actifs qui leur permettent d’acheter des terres. C’est très intéressant, c’est vraiment du portage citoyen et on pourrait imaginer que ça puisse exister pour Coco Velten.
Leur force, c’est que leur “narratif » est très bien compris : il faut des terres agricoles pour notre alimentation de demain, et nous achetons des terres pour mettre en place des jeunes nouveaux fermiers qui font du bio.
Nous, dans les projets urbains tels que Coco Velten, c’est pas si évident d’avoir un discours populaire au niveau national, et de dire : donnez de l’argent pour mettre à disposition des « Coco Velten ».
C’est pas impossible mais il y a un travail à faire autour du discours.
Avant, les gens mettaient tout leur argent dans le livret A ou en bourse, maintenant on a compris qu’on faisait un achat citoyen quand on va chez le producteur local et qu’on achète bio, et maintenant l’épargne solidaire, ça se fait de plus en plus. Il y a des nouvelles plateformes qui permettent de mettre ses petites économies dans de l’économie réelle à impact, comme on dit.
Je pense que ce n’est pas mûr aujourd’hui, mais on pourrait dire “ok, il faut 4 millions d’euros et bien on demande à 4000 citoyens de mettre 1000 euros.”
Ça pose la question de savoir si l’achat citoyen doit se faire de manière très locale par ceux qui sont concernés par le bâtiment à acheter, ou bien est-ce qu’on réussit à faire une dynamique à l’échelle nationale où tout le monde met un peu au pot pour permettre d’acheter un truc ici, un truc à Toulouse, un truc en Picardie. Ce serait une sorte de foncière citoyenne solidaire. C’est re-fabriquer collectivement par des milliers de citoyens les espèces de fondations suisses et allemandes dont on parlait tout à l’heure.
Il existe RailCoop qui est intéressant aussi comme inspiration. C’est une coopérative qui associe citoyens et collectivités locales et qui est en train de de s’organiser pour faire rouler des trains de passagers sur des lignes inter-régionales qui ne sont pas très prisées. Ce sont les citoyens qui mettent de l’argent, ils ont déjà acheté plusieurs trains, ils achètent les sillons et ils vont faire rouler leurs trains ! C’est génial ! Du coup c’est une sorte d’économie alternative coopérative.
TV : 4000 personnes à 1000 €, ça paraît faisable !
Nicolas : Oui, d’ailleurs il faut peut-être la reprendre cette piste. Et les 3 ans de prolongation nous permettraient de l’inventer plus facilement, parce qu’on ne peut pas faire les choses dans l’urgence. Est-ce que c’est à 0% ? à 5% ou à 6% ? Si c’est à 0 %, c’est quand même très engagé, ça veut dire qu’avec l’inflation les gens, perdent presque de l’argent en le mettant chez nous. Il y a la question de savoir si on est capable de mobiliser suffisamment d’argent un moment pour acheter son outil de production. La Ville de Marseille est intéressée, elle connait ces dynamiques. Elle voulait monter la Foncière de Marseille, une sorte de fond d’investissement qui vient collecter de l’argent et qui peut le mettre à disposition de projets comme La Déviation, comme Coco Velten, qui ont besoin de fonds propres pour emprunter. Ils apportent leur garantie bancaire. Il faut sûrement creuser aussi cette piste, ça serait tellement beau !
1- La Déviation est un lieu qui rassemble des espaces de recherche artistique dans une anienne usine de l’Estaque à Marseille http://www.ladeviation.org/
2- Manifesten, rue Thiers dans le centre ville de marseille, se définit comme un lieu d’interventions, de réflexions & d’excitations poétiques, politiques & esthétiques.https://www.facebook.com/manifesten
3- Le Schéma d’Orientation Coopératif dessine les « futurs communs » de la Friche Belle de Mai pour les 10 prochaines années. A lire ici