Et si la Friche la Belle de Mai n’était pas qu’un lieu culturel, mais un véritable laboratoire de coopération citoyenne ?
Depuis deux ans et demi, un nouveau métier y a vu le jour : chargé de coopération de proximité. Ce poste inédit, confié à Nicolas Dupont, habitant de la Belle-de-Mai depuis 2017, a été créé pour renforcer le lien entre la Friche et son territoire, reconnecter ce grand lieu culturel à la vie quotidienne du quartier.
« Faire en sorte que les habitants sachent ce qu’ils peuvent faire avec la Friche, et que la Friche comprenne mieux les réalités du quartier : c’est mon quotidien », résume Nicolas.
Son rôle est à la fois simple et ambitieux : créer des ponts. Entre les habitants, les associations du quartier, les structures culturelles et les équipes de la Friche. “Mettre de l’huile dans les rouages”, comme il le dit avec le sourire, pour que les envies, les besoins et les projets trouvent des échos et des alliés.
Un poste né d’un pari collectif
Ce poste n’existait pas à la Friche : il a été créé à la suite du schéma d’orientation coopératif, un grand chantier collectif mené avant et pendant le Covid, réunissant salariés, résidents, financeurs et habitants sociétaires de la Friche.
Dans ce cadre, une idée forte a émergé : la Friche devait se reconnecter à son territoire, au-delà des murs et des événements culturels.
La Fondation de France a alors choisi de financer non pas des projets isolés, mais un poste sur trois ans, pour ancrer durablement cette coopération.
« C’est un pari rare, confie Nicolas. L’idée, c’est de soutenir un poste pour tisser du lien dans la durée, plutôt que de financer des actions ponctuelles. »
Créer des ponts, au quotidien
La mission de Nicolas se déploie sur deux grands axes : la relation de la Friche avec son territoire, et l’animation d’une coopération territoriale élargie.
Faire le lien avec les collectifs d’habitants et les associations du quartier
La Belle-de-Mai, c’est un quartier riche en énergie, en initiatives et en collectif, mais où beaucoup d’acteurs peinent à se connecter.
« Mon travail, c’est d’être ce maillon. Quand une asso ou un collectif du quartier a un projet, je les aide à trouver la bonne porte à la Friche. Et quand un résident ou une structure culturelle veut s’ouvrir vers le quartier, je les accompagne à comprendre les réalités locales. »
Un exemple ? l’association Ramina, qui aide des mineurs non accompagnés, cherchait un lieu pour organiser une distribution éphémère d’habits de seconde main. Nicolas a pu être leur interlocuteur pour qu’ils investissent un espace de la Friche pendant 2 jours afin de stocker, répartir et distribuer une grande quantité de vêtements.
Autre exemple : Depuis 3 ans, les associations de parents d’élèves à proximité de la Friche ont un partenariat avec les Grandes Tables pour pouvoir mettre en vente une fois par semaine à la salle des Machines des gâteaux préparés par les parents d’élèves, afin de soutenir des projets des associations et des écoles.
Autre exemple : L’association Banlieue Santé propose une formation à des habitantes du quartier pour qu’elles deviennent des ambassadrices santé sur leur territoire. Les formations sont accueillies deux fois par semaine dans une salle de la Friche dédiée aux usages citoyens : la petite Agora. Cette salle permet à des petites associations ou des collectifs d’habitants d’avoir accès à un espace pour se réunir ou mener des ateliers.
« Ces petits coups de pouce permettent à des projets nés dans le quartier de voir le jour, tout en construisant des liens durables avec les structures culturelles. »
Coopérer pour un “futur commun”
Au-delà des actions ponctuelles, Nicolas anime un espace de dialogue et de rencontres, appelé coopération territoriale, où se retrouvent collectifs d’habitants mais aussi des habitants à titre individuel, des associations et des structures du quartier, des résidents et des salariés de la Friche. Ensemble, ils travaillent sur cinq grands enjeux nécessitant de la coopération :
- l’hospitalité, rendre le quartier et les lieux plus accueillants et inclusifs.
- la maîtrise d’usage, reconnaître la compétence des habitants et les associer aux projets qui transforment le quartier.
- la jeunesse, comment les rendre mobiles dans et hors du quartier, les orienter vers les ressources culturelles, sportives, l’insertion sociale et professionnelle.
- la fabrique des droits, accès aux droits sociaux, invention de droits locaux comme le droit à la maîtrise d’usage ou le droit à une alimentation saine.
- et la coopération elle-même, construire un quartier de coopération qui évite les concurrences à l’heure où les financements baissent.
Chaque thème est nourri par des expériences concrètes du quartier, comme par exemple le dispositif d’accueil de stagiaires qui permet, chaque année, d’accueillir 30 collégiens dans des structures de la Friche et du pôle Média, ou encore des projets autour de la mémoire vivante du quartier, pour valoriser les récits et parcours des habitants.
Le Fonds contributif “Depuis la Belle-de-Mai”
Ce dispositif, financé par la Fondation de France et piloté par la Coopération Territoriale, permet de soutenir des projets participatifs et citoyens portés par les habitants : de l’achat de matériel à de la mise en réseau.
Le principe : un jury mixte, composé d’habitants et de structures impliquées, choisit ensemble les projets à soutenir.
La première année, 11 projets ont été soutenus :
- un four à pain collectif au jardin Levat,
- des formations à l’hygiène et à la sécurité en cuisine pour permettre aux habitants de cuisiner dans des lieux professionnels,
- le collectif “Qu’est-ce qui se trame ?”, pour financer l’impression de supports et des buffets pour les temps de concertation,
- un projet de réveillon solidaire porté par des jeunes femmes du quartier qui organisent des maraudes toute l’année,
- ou encore une fête de quartier organisée par des jeunes de Famille en action.
« Au-delà de l’argent (2000€ maximum par projets), ce fonds crée des rencontres. On se rend compte qu’il y a des ressources dans le quartier : du matériel, des compétences, des lieux. »
Pour en savoir plus sur le fonds contributif :
https://www.lafriche.org/fonds-contributif-depuis-la-belle-de-mai/
Des projets qui changent la perception du lieu
Petit à petit, la relation entre la Friche et les habitants évolue. Longtemps, certains ont perçu la Friche comme un “monde à part” : un lieu réservé aux artistes ou aux publics avertis. Nicolas travaille à déconstruire cette idée, notamment à travers des initiatives simples mais symboliques.
L’un des exemples phares est le dispositif “Ticket Toit” : un pass gratuit pour les habitants du 3ᵉ arrondissement, donnant accès au toit-terrasse tout l’été.
« Au début, certains pensaient que ce n’était pas pour eux. Et puis, en venant, ils découvrent autre chose : un lieu ouvert, convivial, où ils se sentent légitimes. »
C’est également un prétexte pour aller vers les habitants et les inviter : les tickets distribués/utilisés augmentent, favorisent la mixité sociale/culturelle et donnent accès à une meilleure connaissance de la Friche.
« Quand on délivre un Ticket Toit, on propose aussi l’inscription à la “Newsletter voisins” et, s’ils le souhaitent, au groupe “WhatsApp voisins” : c’est une porte d’entrée vers d’autres infos et engagements. Par exemple, les réunions annuelles des voisins où je présente aussi les projets destinés aux habitants, certains deviennent sociétaires ou rejoignent la coopération territoriale. »
C’est aussi à travers des moments festifs et interculturels que les barrières tombent.
Lors du Nouvel An amazigh, un collectif d’habitants a pu cuisiner dans les cuisines professionnelles des Grandes Tables, avec les ingrédients offerts par le restaurant. Une salle a été mise à disposition, un plateau radio monté avec Radio Grenouille, et la soirée s’est transformée en véritable fête de quartier.
« Ce soir-là, des personnes qui n’étaient jamais venues à la Friche se sont dit : “En fait, c’est aussi pour nous.” Aujourd’hui, ce collectif travaille directement avec Les Grandes Tables, sans passer par moi. C’est ça, la réussite. »
“La Friche, un paquebot qui vire lentement, mais sûrement”
Si les changements prennent du temps, Nicolas reste confiant.
« La Friche, c’est un paquebot : elle met du temps à virer, mais quand elle prend une direction, elle y va. L’ouverture au quartier, aujourd’hui, c’est une orientation pérenne et forte. »
Entre végétalisation, projets de redirection écologique et ouverture progressive des espaces, la Friche change — physiquement et symboliquement.
Mais pour que la coopération s’ancre dans la durée, il faudra, selon lui, continuer à donner du temps humain à ces liens.
Une question, une idée, une envie de lien avec la Friche ? Nicolas Dupont est joignable à ndupont@lafriche.org
















