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Belle de Mai : un nom, mille histoires

By 11 décembre 2025Fatchalire, Numéro 33

Nous étions posés au Bar Jo, rue de la Belle-de-Mai, quand ça a commencé à s’embrouiller derrière nous.
Mattéo et André, deux habitués du quartier,  étaient en train de s’engatser sur l’origine du nom de la « Belle de Mai”.

Mattéo s’énervait :
C’est la vigne, je te dis ! Une vigne du XIVᵉ, notée dans les papiers !

André soufflait, blasé :
N’importe quoi. C’est les filles ! La plus jolie élue en mai, couronnée de fleurs ! Tout le quartier le sait.

Ok. Apparemment tout le quartier sait. Mais à notre table… personne.
Alors on a voulu mener notre enquête en commençant par interroger des habitants dans la rue.

La rue parle : vigne mythique, Miss de quartier, orpheline maudite

Première rencontre : une dame sortant de l’épicerie.
Mon père disait que c’est la vigne. Elle était tellement belle qu’on l’appelait comme ça.

Deux collégiens plus loin :
Mais non madame, c’est une Miss ! Une Miss Belle-de-Mai d’avant.

Puis Hamadi, 78 ans, assis sur un banc, nous parle d’une orpheline prénommée Rose, trouvée près de Plombières, devenue « la plus belle du quartier » avant de mourir trop tôt. Une tragédie en règle.

Trois versions. Trois ambiances.
Et si on écrivait au président du CIQ,  Serge Pizzo, mémoire vivante du quartier !
Sa réponse à notre mail nous confirme que les 3 versions existent !

Screenshot



Les morceaux se mettent en place.
Mais il nous manque des preuves. Nous décidons alors de nous rendre aux archives.
Direction la rue Clovis Hugues !

Ce que racontent les archives : la vigne, les filles et la Rose

Avant d’être un quartier, Belle de Mai, c’était la campagne. Vraiment la campagne : bastides, jardins, cultures, vignes — dont cette fameuse vigne superstar de 1369.

L’acte du notaire J.Aymeric (11 mars 1369) parle explicitement de « Vinea Bella-de-May ».Il insiste sur sa “beauté et sa fertilité” ; une qualité suffisamment remarquable pour justifier un nom propre.
Alfred Saurel, dans son dictionnaire  des Bouches-du-Rhône (1878), confirme :
“Cette vigne est, ou a été, si florissante et si renommée pour ses produits que le notaire J. Aymeric emploie le superlatif pour la désigner, de façon qu’on ne se méprenne pas : elle est belle “ de reste” (de may).”

On dit aussi que c’était une vigne tardive qui donnait son excellent raisin jusqu’en décembre. 

Puis le temps est passé.

La vigne disparaît, le nom reste. Raccourci, mâchonné : Bella-de-May, puis Belle de Mai.

Autres trouvailles :

En 1866, un acte mentionne que le quartier porte aussi les noms de « Lorry » et « Piebotard », deux  propriétaires du coin.

Rien à voir avec la vigne : juste des usages locaux qui ont coexisté un temps.

Alfred Saurel, lui, ajoute encore une piste : un jeu ancien où des jeunes filles élisaient la « bello Maio ».
“Il ne s’agit plus d’un quartier, mais d’un jeu de jeunes filles. Elles élisent la plus jolie de la rue pour être la Belle-de-Mai… On l’habille de blanc, on la couronne de fleurs, pendant que ses amies collectent de l’argent… Le soir, elles achètent des friandises et mangent ensemble… Sans la vigne signalée dans l’acte de 1369, on pourrait croire que le nom de Belle-de-Mai vient de là; mais ces actes de notaire sont d’un tel positivisme qu’il n’est pas permis de les dédaigner.”

Important de le rappeler : « bello Maio » n’est pas « Belle-de-May ». Ni la même orthographe, ni la même racine. On est dans la tradition populaire, pas dans l’étymologie.

Mais c’est typique de ce quartier : à force de circuler, tout se mélange. La vigne médiévale, les usages du XIXᵉ, les légendes de mai… et de ce patchwork naît ce nom qu’on connaît aujourd’hui.

Et  Rose ?

Les archives municipales conservent une version racontée par l’abbé Savoie dans La Belle de Mai autrefois.
Presque la scène d’un film : orpheline recueillie, élue reine du mois de mai, vision mystique, mort à 20 ans, rose sur la tombe, inscription mystérieuse.

« Une légende locale raconte que deux habitants du quartier, le mari et la femme, avaient adopté une orpheline prénommée Rose. Elle fut recueillie sur les bords de Plombières, dans les bras de sa mère morte, pauvre veuve soutenue par la charité publique. L’orpheline devint une belle et grande fille, qui en imposait même aux ivrognes qui battaient leur femme. Peut-être ses compagnes la choisissaient-elles chaque année au premier jour de mai, pour être leur reine, la Belle-de-Mai. Comme d’après l’usage antique, cela se fait encore de nos jours dans les vieux quartiers de la ville. La jeune Rose mourut à l’âge de 20 ans quelques temps après la vision mystérieuse de celle qu’elle appelait « ma Mère ». On lui aurait entendu dire aussi, aux pieds d’une statue de la vierge : « Bonne Mère, je veux mourir dans ton beau mois.» Le lendemain de ses funérailles, les villageois virent un magnifique rosier portant une fleur épanouie, qui s’élevait au-dessus de la tombe, et  une main inconnue avait écrit au-dessous de l’épitaphe, sur La Croix de pierre : La Belle-de-Mai. »

La grande bascule : quand les vignes se transforment en usines

Les archives du milieu du XIXᵉ siècle montrent un basculement brutal : en quelques années, un terroir agricole devient un faubourg industriel bouillonnant. Vignes, oliviers et jardins potagers disparaissent, remplacés par des cheminées d’usines. L’ouverture de la gare Saint-Charles en 1848 déclenche la cascade : fabrique d’allumettes Caussemille, raffineries de sucre Saint-Charles et de la Méditerranée, margarine Toy-Riont, chimie Legré… puis, en 1867, la Manufacture des tabacs, mastodonte qui écrase le paysage.

La démographie suit la cadence : 892 habitants en 1851, 5 000 en 1860, 10 000 en 1865, 15 000 en 1875. Marseillais, paysans des Alpes et de l’arrière-pays, Piémontais, Toscans… Tous viennent faire tourner les machines. La mémoire rurale recule, la mémoire ouvrière s’impose.

Et pourtant, au cœur de cette mue violente, un détail résiste : le nom. Belle de Mai ne bouge pas. Comme un vestige planté dans un quartier qui, lui, n’a plus rien à voir avec la belle vigne médiévale.

Alors… d’où vient vraiment le nom “Belle de Mai” ?

La réponse tient peut-être en un mot : partout.

La Belle de Mai, c’est un mille-feuilles de récits et de strates :
– une vigne médiévale attestée noir sur parchemin,
– un ancien rituel où des jeunes filles élisaient leur reine de mai,
– une légende d’orpheline prénommée Rose,
– et, pourquoi pas, l’ombre portée de toutes les ouvrières de la Manufacture qui ont fait résonner ce nom pendant un siècle.

Un quartier où chacun raconte sa version.
Et c’est précisément là que réside son charme : dans cette pluralité qui refuse de trancher.