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Les Terrasses dans la peau

On y passe la journée ou on ne fait que les traverser. On y travaille, on y fait du shopping, du fitness, ou la fête sur le rooftop. On y est bien, ou on fait semblant. Chacun ses Terrasses… Une Plongée dans la tête de 3 personnes qui vont aux Terrasses du Port, avec l’atelier d’écriture animé par Gaspard Flamant

Dédé, 45 ans

Ca fait environ deux ans que je travaille aux Terrasses. Je m’occupe de la sécurité à l’entrée, voilà. Je m’assure que quand les gens entrent, ils n’aient pas d’objets dangereux. On est beaucoup à travailler ici dans ce centre commercial. Hmm… je dirais qu’on est plus nombreux qu’à l’endroit où je travaillais avant. Bref. Le matin quand on arrive Stéphane nous attribue un PJ pour la demie-journée. Aujourd’hui je suis au PJ.AO, c’est à dire les ascenseurs rive droite du 1 er, c’est un endroit qui me convient car il est moins fréquenté que les autres, et le fils de mon voisin, Sam, travaille à côté chez Decathlon. Je dois rester devant ces deux ascenseurs, en face de l’éléphant. Un peu plus à droite il y a un banc et des fauteuils, ça donne envie de s’asseoir, hein, mais dans mon métier c’est comme ça, on est debout toute la journée. Peut-être qu’un jour je passerai responsable et pourrai rester assis dans les bureaux du sous-sol. Les Terrasses je les connais par cœur. C’est normal. Je connais même les endroits fermés au public. Je dois dire que c’est vraiment un bel endroit, c’est grand, tout est neuf et puis parfois depuis le PJ.F18 on voit la mer et les bateaux. Je vois du monde toute le journée. Quelques touristes, des groupes d’ados, des familles, des vieux.  Souvent tous ces gens nous ignorent, ils ne nous disent pas bonjour, on n’existe pas pour eux… Avant tous ces travaux je ne venais pas ici. Enfin si je venais prendre le bateau pour partir l’été mais jamais pour travailler ou me promener. Je crois que c’est bien de transformer Marseille.

 


Bastien, 20 ans

 

Est-ce qu’Emma sera là ? Elle avait dit qu’elle viendrait. Bon ça sert à rien d’y penser, et puis ça changera rien. Allez j’appelle Marco.

C’est fou tous ces gens qui sont là, à faire du lèche vitrine. Putain ils ont pas de vie ? C’est des fantômes. Moi dans deux heures, je serai mille fois plus vivant qu’eux. Moi, les Terrasses, je les traverse, mais je m’en fous : je les vois même plus.

C’est en haut que ça se passe. Tout en haut. Sur le toit.

Comme d’habitude on va commencer dans le patio, et quand on sera chaud, on montera sur le roof. Là on est les rois. “Rendre la mer aux marseillais”, ils disaient. Moi, ils m’ont donné mes meilleurs nuits. Je suis chez moi ici, plus qu’à la maison. Et la mer, oui, elle est là. En fait je la regarde presque pas. Sauf à la fin. Quand je suis atomisé. Je la redécouvre à chaque fois. Elle me paraît toujours magnifique à ce moment. Alors que maintenant, je lui jette un regard sans y penser. Pourtant, elle, elle ne change pas. Elle nous observe peut être elle aussi. On rythme son immensité. On est des repères dans son éternité. Il y a deux ans à peine je venais pas ici. Elle s’en souvient ?  Moi j’ai presque oublié déjà. De toute façon je mettais jamais les pieds à la Joliette avant. C’était mort.

Allô Marco ? T’es déjà là ? J’arrive.

 


Salima, 25 ans

Ils avancent sur l’escalator.

« Je te jure tu l’essayes même pas ton jean. Tu connais la taille, tu l’achètes et on y va. J’supporte pas cet endroit Jawad. »

L’angoisse quand on est arrivés dans la grande entrée tout à l’heure. Quatre escalators énormes juste en face, une centaine de personnes qui me regardent arriver. Une forteresse. Mes yeux qui souffrent avec les enseignes qui brillent, les parfums d’ambiance déversés partout dans les allées qui m’agressent quand je marche, mille couleurs de culottes, des crèmes anti-rides, anti-cernes, anti-tout. Des arbres en plastique, des salades diététiques (peut-être aussi en plastique). On dirait que tout a été fait pour que je me sente mal ici.

“ Ca y est on peut y aller.

Enfin ! On descend chez Darty ».

Ca y est, les coulisses de cette belle ruche commerciale. Finis les flashs, le bruit. Plus de miroirs, non plus. On peut enfin regarder autre chose que soi ici. Pas étonnant qu’ils aient mis Darty au -1.