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Un dispositif « ciment » de la société.

By 2 novembre 2017novembre 9th, 2017Fatchaplus, Numéro 11

ITW de Yacine Guemmoud, Conseiller Jeunesse et Sports,
Chargé de la coordination du dispositif Service Civique sur la région PACA

Pouvez-vous nous présenter le dispositif « service civique » ?

C’est un dispositif qui a été mis en place en 2010 et qui permet à un jeune entre 16 et 25 ans, et pour une personne en situation de handicap jusqu’à 30 ans, de pouvoir vivre une expérience de volontariat. Le jeune s’implique au sein d’une collectivité, d’une association, d’une institution, ou d’un service de l’Etat, et il y effectue une mission, et non un travail.

C’est la possibilité pour un jeune de développer des compétences, de développer des savoirs-faire, des savoirs-être. On n’est pas sensé lui demander des résultats, il est là pour «grandir» au sein de la structure, rencontrer des personnes, développer du partenariat. C’est une mission indemnisée. On ne rémunère pas son travail mais on indemnise son engagement à hauteur de 580 €.

C’est un dispositif de transformation sociale qui permet de changer les individus car normalement, à sa sortie, le jeune a vécu plein d’expériences.

Dernièrement, il y a eu une explosion du dispositif, montrant un vrai besoin. Qu’en pensez-vous ? Est-ce en lien avec les chiffres du chômage ?

Bien sûr, aujourd’hui la jeunesse est touchée par le chômage. Le monde du travail est complexe. Les jeunes qui sortent d’un cycle universitaire trouvent difficilement leur place, ils ne sont pas adaptés aux besoins du monde du travail. D’autres, non diplômés, se retrouvent sans rien. Le service civique permet d’avoir une autonomie financière.

“Le seul moyen aujourd’hui pour une association de ne pas mourir, c’est d’aller chercher des jeunes en services civiques, de les engager et d’essayer de les mettre en action autour des projets qui étaient déjà menées depuis des années.”

Pour les associations c’est la réponse à une problématique de personnes. C’est-à-dire qu’il y a des projets qui doivent continuer, il y a des baisses financières assez importantes… Mais voilà, le seul moyen aujourd’hui pour une association de ne pas mourir, c’est d’aller chercher des jeunes en services civiques, de les engager et d’essayer de les mettre en action autour des projets qui étaient déjà menées depuis des années. Donc il y a des enjeux derrière.

Je pense que l’un dans l’autre, tout le monde y trouve son compte.

Le problème, c’est quand l’association commence à se dire « ça fonctionne, donc on va prendre encore plus de services civiques ». Là on arrive à un aspect négatif, c’est d’utiliser le jeune comme une main d’œuvre bon marché. Et à ce moment là, on risque de créer un système qui n’est pas la vocation première du dispositif. Il faut être vigilant et observer de manière concrète le cheminement de ce dispositif.

Ce dispositif est-il à améliorer ?

Ce qu’on veut dire aux structures, c’est « quelles capacités avez-vous à mobiliser pour faire en sorte que le jeune sorte grandi et avec un sentiment de confiance ? ». Le travail que je mène avec tous les référents départementaux sur le territoire, c’est sur cette dimension de valorisation.

On est toujours dans une phase où on conscientise les structures à l’intérêt de ce que j’appelle un dispositif «ciment» de la société. Ciment, ça veut dire quoi ? Si les adultes prennent les jeunes sous leur aile et commencent à leur donner un capital confiance, automatiquement ce capital confiance va se transformer.

Est-ce qu’il y a un public ciblé en particulier, ou ce dispositif s’adresse vraiment à tous les jeunes ?

Le public ciblé, c’est la jeunesse, qui est souvent la tranche d’âge la plus touchée par le chômage. Maintenant, évidemment, il y a des jeunes qui sont dans des situations plus compliquées que d’autres. Moi, je trouve que ce dispositif est intéressant car il touche 19% des jeunes en quartiers prioritaires « politique de la ville ». Mais on sait aussi que ce dispositif phagocyte beaucoup d’étudiants.

“On a un public cible en terme d’âge mais après, pour toucher les jeunes dans différents pôles, c’est-à-dire géographiques, de niveaux sociaux différents, c’est très compliqué.”

Souvent, on a une cible mais cette cible là peut être détournée, elle peut être prise dans des enjeux beaucoup plus importants, dans des enjeux de structures. Et les structures ne jouent parfois pas le jeu.

Par exemple, elles peuvent prendre un jeune à partir de 16 ans. Mais souvent, elles ne le font pas, car le jeune de 16-17 ans ne va pas être autonome, donc souvent elles choisissent un étudiant qui a des compétences et qui a déjà un bagage.

On a un public cible en terme d’âge mais après, pour toucher les jeunes dans différents pôles, c’est-à-dire géographiques, de niveaux sociaux différents, c’est très compliqué. C’est à nous, par exemple dans le cadre de renouvellement d’agréments, dans le cadre des avenants donnés aux strcutures, de voir avec elles comment elles ont recruté ? Est-ce qu’elles ont recruté essentiellement des bac +5 ? Est-ce qu’elles ont assuré la mixité sociale ? Voilà, ça c’est notre travail, observer et réguler. Mais après, il ne faut pas se leurrer, on ne peut pas contrôler tout le monde. En PACA, c’est 346 structures engagées, on n’est pas assez nombreux en termes d’effectifs pour accompagner toutes les structures.

Y-a t’il des inconvénients à ce dispositif ?

Il y a sûrement des structures qui ne jouent pas le jeu et qui apparentent les missions à de l’emploi. Donc le risque, c’est que si on n’accompagne pas les structures, le jeune ne va pas effectuer une mission mais un emploi. Et dans ce cas-là, on s’éloigne de l’objectif principal qui est d’assurer une vraie transformation, un ciment dans la société.

“Il faut du temps pour que la notion de volontariat s’inscrive dans la société et que pour chacun trouve sa place dans ce dispositif.”

Aujourd’hui, ce que je constate, c’est que les jeunes sont satisfaits de ce dispositif puisque pour eux, c’est une aubaine. Quand on sort des études ou qu’on ne sait pas encore ce que l’on veut faire, c’est une aubaine de savoir qu’on peut avoir 580 € et découvrir un milieu professionnel.

Après, pour la jeunesse, prendre le volontariat à pleine main, ça n’est pas si évident que ça. Il y a encore beaucoup de travail à faire autour de cette question, pour comprendre ce qu’est vraiment le volontariat. Il faut du temps pour que cette notion s’inscrive dans la société et que pour chacun trouve sa place dans ce dispositif. Alors, oui, on peut le critiquer, y apporter des éléments de corrections, mais ça va nécessiter un changement dans la manière d’appréhender ce dispositif.

C’est un dispositif complexe. Cela fait dix ans que je travaille dans la fonction publique et selon moi, c’est un dispositif phare avec une enveloppe financière assez colossale. Cette année, on était à plus de 300 millions d’euros. L’ancien président de la République, François Hollande, voulait aller jusqu’au milliard en terme d’investissement financier.

Est-ce que vous pensez qu’il y a une différence entre un service civique qui se fait dans une association et un autre qui se fait au sein d’un service public comme Pôle emploi ou la CAF ?

Souvent, on avait des structures qui parlaient de la jeunesse sans savoir ce que c’était un jeune, donc je trouve cela intéressant qu’on ait pu un peu inonder à la fois les services publics mais aussi les associations. Ça ne peut avoir que des effets démultiplicateurs dans le temps et ça va assurer dans les associations un renouvellement, un rafraîchissement et une autre manière de réfléchir les projets.

Maintenant, entre un jeune qui fait une mission au sein d’une association et un autre au sein d’une collectivité ou d’un service public, je dirais que c’est plus difficile de calibrer une mission, par exemple quand on est dans un Pôle emploi, parce que c’est compliqué dans un cadre administratif de définir une mission attractive pour le jeune.

“Il y a un enjeu social aujourd’hui à rapprocher les jeunes avec le monde des adultes. Il y avait avant une distanciation importante et le service civique permet de gommer cela.”

Ce qui est intéressant dans le milieu associatif c’est qu’on a plus de possibilités et on a plus de moyens. Les missions peuvent être démultipliées, ça donne au jeune un cadre plus souple pour pouvoir s’engager et être plus volontaire. Alors que quand on est au Pôle emploi, on peut se trouver dans des missions plus tournées vers l’accueil et vers l’accompagnement mais c’est quand même, à mon avis, plus figé et plus compliqué. Mais ça n’est pas inintéressant. C’est important qu’on ait des jeunes qui interviennent aussi dans ces espaces là pour apporter leur plus-value, pour apporter leur regard, pour discuter, pour venir interroger l’institution qui les reçoit. Je pense qu’il y a quoiqu’il en soit un intérêt et un enjeu.

Il y a un enjeu social aujourd’hui à rapprocher les jeunes avec le monde des adultes. Il y avait avant une distanciation importante et le service civique permet de gommer cela. Après, il y a aussi des éléments négatifs. Il peut y avoir un rapport hiérarchique qui se met en place quand on est, par exemple dans un Pôle emploi, un peu moins quand on est dans une association qui a plus l’habitude de co-construire avec des jeunes et qui a l’habitude de cette relation fluctuante.

Est-ce que le service civique est utilisé comme un moyen de subventionner le monde associatif ?

Si on prend l’exemple de notre administration, on a eu le BOP 163* qui était un budget opérationnel qui permettait de financer les associations. Ce budget s’est réduit et proportionnellement, le budget alloué au service civique, lui a augmenté. La politique «jeunesse», aujourd’hui au sein de notre administration, c’est d’abord une politique de dispositif et le dispositif phare, c’est le service civique. Ça veut dire qu’à un moment donné, on a décidé non plus d’orienter l’argent en direction des associations directement mais plutôt de financer des jeunes et de les mettre à disposition d’associations.

Je pense qu’il faut faire les deux, il faut continuer d’aider les associations assez fortement avec des subventions. Mais c’est aussi intéressant d’avoir cette idée de mettre en action des jeunes dans des associations et donc de financer «de la main d’œuvre» parce que la problématique au sein des associations, c’est le manque de personnes. Le bénévolat baisse, il y a des réductions à tous les niveaux, les associations n’ont pas toujours le moyen d’embaucher donc le dispositif service civique, c’est une espèce d’aubaine dans le fonctionnement d’une association. Mais il ne faut pas non plus la fragiliser en stoppant les subventions car elle risque de s’éteindre. Si tous les financements se réduisent à peau de chagrin, il va y avoir des grosses difficultés pour le monde associatif.

 

* programme budgétaire «jeunesse, éducation populaire et vie associative»

 

“le dispositif service civique focalise un éclairage et donne du sens à une politique de jeunesse qui est plus facile à évaluer, plus facile à contrôler et plus facile à accompagner.”

 

Pourquoi l’Etat a décidé de mettre en place ce dispositif ?

Il fallait quelque chose qui se voit, et identifier une indemnité en direction d’un jeune, c’est un affichage clair, ça se décline quantitativement, on a des chiffres. Quand vous distribuez des sommes à des associations, souvent ça se noie dans une espèce de continuum qu’on a du mal à évaluer. Là ce qui est intéressant, c’est que le dispositif service civique focalise un éclairage et donne du sens à une politique de jeunesse qui est plus facile à évaluer, plus facile à contrôler et plus facile à accompagner.

Après, c’est aussi la volonté d’avoir une action claire et rapide. Quand vous indemnisez un jeune, vous le mettez en action, il est dans une association et c’est parti ! Peut-être que subventionner des projets, c’est plus flou. Les administrations ont de plus en plus de mal à assurer l’évaluation et le suivi. Là c’est plus concret, et médiatiquement, c’est plus visible. La preuve en est, aujourd’hui le dispositif service civique, on en parle. Les jeunes commencent à en parler de plus en plus. C’est un dispositif qui rentre petit à petit dans le paysage de notre société.

Que pensez-vous de la question de la recherche d’emploi après le service civique ? Car souvent ce qui est critiqué dans ce dispositif c’est le manque de continuité.

La problématique c’est qu’il y a certaines structures qui n’ont pas compris que pendant la période d’engagement du jeune, il y a tout un parcours du projet d’avenir. Comment on suit le jeune pour qu’ensuite il y ait un tremplin vers l’emploi ? Le dispositif, ce n’’est pas un dispositif d’insertion, c’est un dispositif qui peut être un tremplin vers l’emploi. Moi, où je lui trouve un super intérêt, c’est que, aujourd’hui quand tu vas à la fac, tu vis des cours, tu vis quelque chose qui est très descendant, avec peu de connections avec le monde professionnel. Et donc quand tu te retrouves face au monde professionnel, tu es complètement désarmé. Et le savoir être, et le savoir-faire, et la vie en collectivité, tu ne sais pas du tout ce que c’est. Ce qui est intéressant, en fait avec le service civique, c’est qu’un jeune est plongé dans un milieu professionnel.

“Dans notre société, on évalue beaucoup de choses qui sont assez concrètes et faciles à évaluer, mais il y a des choses qu’on n’évalue plus, comme  la confiance en soi d’un jeune.”

Les échanges que nous avons avec les associations, les collectivités nous montrent que les jeunes sont talentueux et qu’ils sont en capacité très rapidement de prendre un poste. Sauf que, ils n’ont pas identifié leurs compétences. Ils ont besoin d’être accompagné, ils ont besoin d’être valorisé. Et je pense que l’intérêt de ce dispositif, c’est la valorisation. C’est ce que peut apporter le regard d’une personne sur une autre. Et c’est là, en fait, que se joue notre société. Nous sommes dans une société où le mal être chez les jeunes est assez important. Ce dispositif, c’est la possibilité d’assurer la mixité, de rencontrer les personnes géographiquement, de casser les stéréotypes, et ensuite les aider en les accompagnant. Mais ça, c’est quand l’association joue le jeu, c’est-à-dire qu’elle les accompagne dans le projet d’avenir parce que une fois que le jeune a terminé, on a travaillé avec lui et il sait vers où il va. Certains vont vers l’emploi, certains se relancent dans une formation, certains reprennent leurs études donc les solutions, elles y sont. Et surtout, la seule chose qui à mon avis change, c’est la confiance en soi. Et cet élément est non quantifiable, non observable. Dans notre société, on évalue beaucoup de choses qui sont assez concrètes et faciles à évaluer, mais il y a des choses qu’on n’évalue plus, comme  la confiance en soi d’un jeune. La perte de confiance, souvent, s’inscrit dès l ‘école qui est très normative, axée sur les notes, sur « ça c’est bon », « ça c’est pas bon ».

Non ! Un jeune si il est motivé, si il a confiance en lui, je pense qu’à un moment ou un autre, son chemin, trouvera une porte de sortie positive. Par contre si on est dans une course à la réussite où les meilleurs doivent réussir et que sur un groupe de 100, il y en a que 10 qui réussissent et bien tous les autres, en ayant pourtant des compétences vivront dans l’ombre et dans l’échec. Et dans le dispositif service civique, ce qui est intéressant, c’est ça, c’est de permettre d’avoir une projection positive.